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Voilà le péril. Il est grand. Il l’est d’autant plus que, si le cours des événemens a fait jusqu’à un certain point en ce pays la liberté solidaire du régime parlementaire et ce régime solidaire de la République, l’histoire, de son côté, indique le césarisme comme le terme presque fatal de l’évolution démocratique. M. Frédéric Harrison, l’éminent disciple d’Auguste Comte, un homme qui connaît et qui aime notre pays, déclarait l’autre jour dans la. Revue positiviste anglaise que la France attend et demande l’homme du pouvoir personnel. Qu’on ne s’y trompe pas! ce ne serait point un roi, — surtout pas un roi constitutionnel, — qui recueillerait la succession éventuelle de la République. On ne refait pas une monarchie une fois tombée. Les Restaurations sont des trompe-l’œil. Le trône repose sur un ensemble de traditions, d’instincts, de préjugés, d’habitudes qui, une fois détruits, ne se reconstituent pas artificiellement et à point nommé. C’est un vieil arbre, moussu, couvert de lierre, avec des racines poussant et pivotant dans tous les sens, que l’on a abattu : on relève un tronc mort qu’on replante de force. Une loi apparemment inéluctable veut que, pour les démocraties qui ont répudié leurs institutions immémoriales, séculaires et héréditaires, — monarchiques, en France ; à Rome, républicaines, — le césarisme soit une forme de transition inévitable.

Deux fois la France a fait l’épreuve de cette fausse autorité : elle sait ce qu’il lui en a coûté. Il serait impardonnable de retourner une troisième fois les yeux ouverts à cet abîme. Non qu’une royauté ou un empire pût, à cette heure, nous rendre le despotisme écrasant de Napoléon Ier ou le régime strictement personnel des débuts de Napoléon III. J’estime au contraire que, précisément, l’une des causes qui contribuent le plus à l’affaiblissement actuel de la République ou même du régime parlementaire, tendrait à prévenir, le cas échéant, le retour pur et simple de la dictature. Je veux parler de ce fait curieux qu’un grand nombre des principes et des idées qui formaient en quelque sorte le patrimoine de 1789, ont cessé d’être spécifiquement républicains ou même libéraux. Par là même ils ont cessé de constituer une force très précieuse au service de l’institution républicaine ou de l’idée libérale. Il fut, en effet, un temps où la liberté de la presse, la responsabilité des ministres et des agens du pouvoir, l’élection des maires, l’égalité absolue devant l’impôt du sang, le souci démocratique de l’instruction populaire, faisaient partie intégrante