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ses Avertissemens respirent la bonhomie et la candeur ; il s’efface, il ne veut rien dérober du bien ou de la gloire d’autrui, il ne veut qu’attester, foi d’honnête homme, que ces messieurs ont dit la vérité dans leurs Mémoires. C’est un faussaire tout à fait distingué.

D’autant plus que, si la signature est contrefaite, l’œuvre ne tient pas en somme trop mal les promesses du titre et du sous-titre. Oui, les Mémoires de M. de Bouy, de Rochefort, de d’Artagnan contiennent « ce qui s’est passé de plus particulier sous le ministère du cardinal de Richelieu et du cardinal Mazarin », et aussi maintes « choses particulières et secrètes qui se sont passées sous le règne de Louis le Grand. » Quelle abondance de détails, et de ceux dont on dit : Cela ne s’invente pas, sur la conspiration de Cinq-Mars, sur la Fronde à Paris et en province, et notamment à Bordeaux, sur la disgrâce de Fouquet, sur les campagnes de Turenne, de Condé, de Louis XIV ! Duels, procès, scandales, brigues et intrigues, fêtes de la cour, tumultes de la rue, guerres civiles et guerres extérieures, toute la vie publique et privée d’une nation pendant près d’un demi-siècle, est là racontée par le menu.

Dans sa Vie de l’amiral Coligny, Sandras avait l’air d’un écolier qui récite une leçon : il est tout autre dès qu’il s’agit des hommes et des choses de son époque ou de l’époque voisine. Son Mazarin est excellent ; il l’a peint plusieurs fois, et toujours avec le même relief, adroit à noter ses petitesses, ses roueries, son avarice et jusqu’à son jargon zézayant d’Italien. Sa relation du passage du Rhin est très exacte et complète. Parmi les scènes qu’il décrit, il en est dont il a pu être témoin, et je me figure qu’il n’aurait pas tant parlé des guerres de Flandre ou de Franche-Comté, si l’ancien officier n’avait eu des souvenirs personnels à placer. Mais il est léger, suffisant et cynique ; il veut tout savoir et tout expliquer, il fait l’entendu ; sur la politique, sur l’administration du royaume, sur la capacité des ministres ou la vertu des femmes, il émet des jugemens comme en pouvaient formuler après boire et les coudes sur la nappe cadets aux gardes et cornettes de dragons. Il est très renseigné, mais renseigné souvent chez la portière ; il accueille tous les vilains propos qui circulent ; dût-il calomnier les vivans et les morts, la femme après le mari et après les courtisans le roi, tout ce qui se chuchote, il faut qu’il l’imprime. Car l’ex-officier s’est fait nouvelliste ; telle de ses pro-