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lon qui s’égare, le voleur qui crie : la bourse ou la vie ! Les mers étaient pleines de péril et de mystère ; la Méditerranée, l’Océan avaient aussi leurs bandits ; le vaisseau qui mettait à la voile s’en allait dans l’inconnu, et il y avait des îles désertes qui attendaient Robinson.

Jamais plus riche matière ne s’est offerte au conteur, et Sandras ne l’a pas épuisée : il en a le premier compris et révélé la richesse. Il peint les beaux soldats et les belles héroïnes de la Fronde, les duellistes, les conspirateurs, les espions ; il dit les rixes, les embuscades, les rendez-vous mystérieux pour lesquels on a soin, tout en faisant toilette, de charger ses pistolets, les reviremens de la faveur royale, les caprices du pouvoir arbitraire, les lettres de cachet, les arrestations dont on ignore la cause, les retraites forcées au couvent, les longs séjours à la Bastille, les évasions, les inquiétudes et les ruses de ceux qui sentent tourner autour d’eux les « mouches » du lieutenant de police ou du ministre. Que les Mémoires soient ceux de Bouy, de Rochefort ou de d’Artagnan, ils sont une odyssée dont la vie française de 1630 à 1670 a fourni les péripéties.

Bouy est un enfant trouvé que des gens charitables ont placé dans un collège. Méprisé de ses petits camarades qui ne lui pardonnent pas de n’avoir ni père ni mère, il fait son apprentissage d’homme en se battant contre eux à coups de poing. Bientôt réduit à se faire charpentier, il épouse une femme de chambre aussi pauvre que lui. Un beau jour, las d’attendre la fortune qui tarde, il part sans dire où il va, gagne un port, s’embarque avec de hardis marins qui sont de simples écumeurs de mer. Il « fait la course » en leur compagnie, arrête et pille les bateaux de commerce, et, lorsqu’il a mis de côté quelques centaines d’écus, retourne auprès de sa femme. Le hasard le met alors en présence de Richelieu qui l’attache à sa personne ; le voilà spectateur ou acteur dans tous les événemens du règne de Louis XIII.

Pour échapper aux persécutions d’une marâtre, Rochefort à dix ans s’évade et suit des bohémiens qui passent. Il vit cinq années auprès d’eux, d’une vie hasardeuse et vagabonde. En traversant le Midi, il voit des régimens français qui vont au siège de Perpignan. Adieu les guenilles de la Bohême et vivent les beaux uniformes qui brillent au soleil ! Il s’enrôle. Il est vite initié à l’art de la guerre, en partie fait alors de finesse et d’astuce ; pour son coup d’essai, il tend un piège à un officier espagnol et le ra-