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souffrante. — Cette révolution de quatre heures a jeté ses premiers troubles dans notre paisible quartier ; j’ai mis Lydia à l’abri des cris et des balles, et je suis allé seul, partout, voir comment tombent les gouvernemens qui croient à la force contre une telle nation. L’ouragan est passé, il a emporté ce trône de carton, et à présent on se regarde, on attend. L’Assemblée nationale sera la vie politique réelle ; jusque-là on est paralysé. — Vous nous en voulez donc d’avoir interrompu vos danses ? Eh quoi ! y a-t-il tant de gaîté dans mon pays natal ?

Comment espérer que vous quittiez toute cette cour d’adorateurs pour venir voir des débris de barricades nouvelles et un champ de bataille à peine balayé ? Si cependant j’ai ce bonheur enfin, je vous fais une prière : c’est de m’écrire un mot avant devenir chez votre cousine, et que ce billet me dise : « Je suis à Paris, dans telle rue, telle maison. » Je suis jaloux, et demande à entendre seul vos premières paroles, moi qui entends encore les dernières que vous m’avez dites, chère Alexandrine.

J’espère qu’on n’a pas fait de barricades à Tours avec les pierres de la maison de Tristan, qui m’est si chère ?

Est-ce chez votre chère Elise que vous dansiez si souvent ? L’aimez-vous toujours d’amour tendre ? L’autre jour, quand vous me parliez d’elle, c’était avec tant d’effusion ! Qui ne se figurerait un ange gardien assis près de vous ?

Oui, c’était l’autre jour, c’était hier. Le temps n’existe pas pour moi. — Voilà un peu de soleil qui va venir. Vos ailes vont peut-être s’ouvrir et vous viendrez ici. Vous me trouverez tel que j’étais pour vous, ma belle cousine, à Tours, où vous m’avez montré tout ce que mon pays a de plus charmant.


III

Angoulôme, samedi 29 juillet 1848.

Tel j’étais hier à deux heures et tel j’arrive ce matin à dix heures. J’ouvre mon portefeuille anglais, mon confident et mon ami, je reste seul avec lui, et, dans le silence, je vous écris. Un orage commence à gronder et s’approche. Cette nuit déjà je le sentais à la fraîcheur des vents de l’ouest, qui venaient de la mer et n’iront pas, je crois, jusqu’à Dolbeau, car Poitiers était brûlant à minuit, et je comptais les chambres à coucher ouvertes pour respirer, dans cette triste ville. — Tous les habitans de la voiture dormaient,