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c’est frapper indirectement le crédit du pays et, par là même, atteindre sa puissance[1].

L’aveu a beau nous en être pénible, le patriotisme nous fait un devoir de le confesser, la Bourse représente une des forces vives de la France. Elle a été, pour la France, un instrument de relèvement après la défaite, et elle demeure, pour nous, un instrument de puissance, dans la guerre et dans la paix. Rappelons-nous les déjà lointaines années de notre convalescence après l’invasion, années douloureuses et douces à la fois, où se mêlait aux tristesses de la défaite et aux souffrances de la mutilation la joie de sentir la France revivre. D’où nous est venue notre première consolation, notre première revanche devant le monde? Glorieuse ou non, elle nous est venue de la Bourse.

Le marché de Paris s’est retrouvé intact au milieu des ruines de la guerre et. de la Commune, et la paix à peine ratifiée et l’insurrection domptée, il s’est mis à travailler au relèvement de la France; car c’est bien au relèvement de la France que travaillaient, sous Thiers et sous Mac-Mahon, agens de change et courtiers. La Bourse a eu, aux plus mauvais jours, un mérite peu commun; elle a fait un acte de foi en la France. Alors que plus d’un politique sceptique et d’un penseur découragé se permettaient d’écrire, sur les murs croulans de nos palais incendiés, finis Galliæ, la Bourse a cru à la France et à sa fortune, et, cette foi en la France, elle l’a répandue autour d’elle, chez nous et au dehors. La spéculation a été patriote, à sa manière; elle a montré en nos ressources une confiance que la prudence de plus d’un sage taxait de téméraire. Avons-nous déjà oublié nos grands emprunts de libération ? Sans la Bourse, ces emprunts colossaux, dont le montant dépassait tout ce qu’avait rêvé l’imagination des financiers, n’auraient pas été souscrits, ou ils ne l’auraient été qu’à un taux notablement plus onéreux pour le pays. Sans la Bourse, nos rentes françaises n’eussent pas pris un essor aussi rapide; notre crédit, rétabli plus vite encore que nos armées, n’eût pas, dès le lendemain de la défaite, égalé le crédit de nos vainqueurs. A cet égard, tout ce que l’équité nous faisait dire naguère de la haute banque il faudrait, pour être juste, le répéter

  1. Faut-il rappeler ici que le gouvernement français, dirigé alors par un ministère radical, s’est cru obligé, sur la proposition de MM. Bourgeois et Doumer, d’exempter, en 1896, les rentes françaises de la plus grande partie de l’impôt sur les opérations de Bourse, afin de rendre au marché de nos rentes l’élasticité que cet impôt lui avait enlevée?