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l’East-End de Londres, ce « quartier affreux » où à peine jusque-là les plus hardis explorateurs avaient osé s’aventurer une ou deux fois, «en compagnie d’un vicaire », ou plutôt encore d’un agent de police. Mais surtout il s’en est constitué le romancier : et cela seul suffirait à expliquer la stupeur indignée avec laquelle ses livres ont été accueillis d’une grande partie de la presse anglaise. On lui a reproché de toucher à des sujets que jamais avant lui un auteur anglais n’avait même effleurés. On l’a accusé de se complaire dans l’horrible, de rechercher le scandale, de faire appel aux plus bas instincts du public. On a sommé le public de ne point lire ses livres ; et leur succès, naturellement, n’en a été que plus vif. Aujourd’hui, tout jeune encore, M. Morrison est devenu quelque chose comme un chef d’école. En Angleterre, aux États-Unis, d’autres écrivains l’imitent ou bataillent pour lui. Et dès maintenant on admet qu’il a créé un genre : il est le fondateur du nouveau réalisme.

Peut-être, après cela, n’en est-il pas le fondateur, mais simplement l’importateur ; et peut-être le réalisme tel qu’il le pratique n’est-il nouveau que pour les Anglais. C’est en tout cas l’impression que ne pourra manquer d’avoir tout lecteur français, en parcourant la série de ses Contes des rues basses. A chaque page, sous des noms anglais et dans des attitudes fort adroitement modifiées, il reconnaîtra des figures qu’il aura le souvenir d’avoir vues déjà, il y a dix ou quinze ans, dans les romans et les nouvelles de l’école de Médan, ou encore au Théâtre-Libre, dans les pièces rosses qui y furent jadis si gaiement applaudies. J’ai cité déjà le sujet du premier conte : n’est-ce pas M. Méténier qui, jadis, a mis au théâtre un sujet analogue? Voici, quelques pages plus loin, le conte intitulé : Cette brute de Simmons. C’est l’aventure d’un brave ouvrier qui, s’étant marié avec une femme grondeuse et avare, dont le premier mari a disparu dans un naufrage, voit un jour revenir ce premier mari. Il veut lui rendre sa femme ; l’autre refuse de la prendre ; et « cette brute de Simmons » s’enfuit, faute de trouver un meilleur moyen pour débrouiller la situation. La situation était débrouillée d’une façon différente, dans le Jacques Damour de M. Zola : mais est-ce que ce n’était pas la même situation? Dans Sur l’escalier, une mère bavarde avec sa voisine, tandis qu’au-dessus d’elle son fils agonise. Le médecin lui donne cinq shillings pour acheter des fortifians : elle les met dans sa poche, en compagnie de cinq autres qu’un autre médecin lui a donnés la veille. Et le fils meurt ; et