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et des romans et contes français qui lui ont manifestement servi de modèle. Le moraliste, en lui, a soudain transparu sous le dilettante.

Je n’ignore pas après cela que, de tout temps, les peintres de la dépravation ont prétendu faire œuvre de moralistes. C’est au nom de la morale, et pour nous inspirer l’horreur du vice, qu’on a étalé sous nos yeux, depuis vingt ans, toutes les plaies qu’on a pu découvrir, physiques et morales. Jusque devant la cour d’assises, nos romanciers ont affirmé que leur seul objet avait été de nous rendre meilleurs. Mais précisément M. Morrison ne l’affirme jamais. Son livre n’a point de préface : pas une fois on n’y trouvera une opinion expressément énoncée, ni pour blâmer, ni pour excuser. Ce sont les faits seuls qui parlent, et avec un accent qui ne saurait mentir. Ils nous disent que la déchéance morale de l’East-End n’est point irrémédiable, qu’elle résulte plutôt de l’ignorance que du mauvais vouloir, et qu’il suffirait, pour la faire cesser, d’apprendre à ces malheureux la seule chose qui importe. Or la seule chose qu’il importe qu’on sache, d’après M. Morrison, c’est qu’il y a un bien et un mal, et cela d’une façon absolue et divine. De telle sorte que cette adaptation anglaise de l’Assommoir se trouve être, en fin de compte, un roman chrétien.

Qu’est-il donc arrivé à M. Morrison, qui l’ait amené lui-même à cette conversion? Je croirais volontiers que, après avoir longtemps exploré l’East-End en compagnie de nos romanciers naturalistes, il s’y sera rendu, un jour, lui aussi, « en compagnie d’un vicaire », et que cette compagnie aura, peut-être sans qu’il s’en doutât, modifié sur plus d’un point sa manière de voir. Son roman, en effet, est dédié au révérend Jay, curé de la paroisse la plus mal peuplée de l’East-End ; et c’est un prêtre de cette paroisse, le révérend Sturt, qui, seul, dans le livre, essaie de lutter contre la dépravation générale. Le révérend Jay aurait-il servi de modèle à ce personnage, et du même coup aurait-il gagné M. Morrison à sa généreuse tentative d’évangélisation ? Mais il n’a pu y réussir, en tout cas, que parce que le jeune écrivain était prêt d’avance à se laisser gagner. Et quoi qu’il en soit des raisons fortuites qui, du peintre impassible des Tales, ont fait le moraliste d’Un Enfant du Iago, la raison essentielle du changement doit être cherchée plus haut. Cette raison, c’est que M. Morrison est Anglais, ou peut-être Écossais, qu’il porte à un très haut degré le caractère de sa racé, et que, avec ce caractère, notre conception latine de l’art pour l’art n’a pu produire en lui qu’un engouement de surface. Comme tous ses compatriotes, il a dans le sang un besoin de prêcher. Et à peine s’est-il trouvé réellement en présence de la corruption de l’East-End, qu’au lieu de se