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pareil cas, une tête sur laquelle on puisse faire retomber toute la responsabilité, et on désigne Abdul Hamid. On parle de le déposer. Le sultan, déjà si profondément ébranlé sur son trône, n’a qu’un moyen de se sauver, c’est de se remettre entre les mains de l’Europe : peut-être la désarmera-t-il par là. On a accusé sa loyauté; il faut que, désormais, il soit impossible de la mettre en doute. On a dit qu’il acceptait les réformes avec l’arrière-pensée de ne pas les faire ; il faut qu’il les accepte cette fois avec la volonté de les exécuter sans délai, sans réserves, et qu’il associe l’Europe à leur exécution. S’il agit ainsi, le passé continuera sans doute à peser sur lui, mais l’avenir ne lui sera pas interdit. S’il agit autrement et si, par faiblesse ou par duplicité, il laisse apercevoir dans sa conduite la moindre hésitation ou surtout la moindre équivoque, nous ne sommes pas prophètes et nous ne voulons rien prédire, mais on a vu tomber des couronnes qui paraissaient plus solides que celle d’Abdul Hamid. La sienne, en ce moment, a grand besoin d’être raffermie. Mais pour qu’elle puisse l’être, il a lui-même beaucoup à faire oublier, beaucoup à se faire pardonner. S’il ne le comprend pas, il sera la première victime de son aveuglement, et nous voudrions espérer qu’il sera la seule.

L’Europe également a des devoirs à remplir, et tous d’ailleurs se résument en un seul, qui est de maintenir entre ses membres l’union la plus absolue. Cette union existe-t-elle aujourd’hui? On le dit, il faut le croire. Cependant nous signalions, il y a quinze jours, les déclarations certainement inopportunes de lord Salisbury, d’après lesquelles toutes les puissances n’auraient pas pris les mêmes engagemens au sujet de la sanction à donner à leurs volontés communes. A supposer qu’il en fût ainsi, peut-être était-ce là un mystère qu’il aurait été prudent de ne pas dévoiler juste au moment où nous sommes, c’est-à-dire à la veille de soumettre au sultan le programme de réformes qui vient d’être élaboré par les ambassadeurs. Ce qui devrait nous rassurer, c’est que, quelques jours auparavant, le même lord Salisbury, après avoir pris connaissance des instructions de M. Hanotaux à M. Cambon, s’en était montré pleinement satisfait et les avait jugées conformes aux propositions dont il avait pris l’initiative. L’identité des termes employés par les diverses puissances ou par leurs gouvernemens n’est pas indispensable; il suffit que le fond soit le même, et il semble bien qu’il l’ait été. C’est du moins ce qu’on nous a dit. Le malheur est que nous ne pouvons encore en juger que par les publications du gouvernement anglais; nous attendons toujours celles que le gouvernement français a annoncées, que M. Hanotaux, l’autre