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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 140.djvu/210

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UN TOURISTE SUISSE
ET SON
VOYAGE AUTOUR DU MONDE

Qu’est-ce qu’un touriste ? S’il faut en croire l’Académie, c’est « celui qui aime à voyager, qui voyage pour son plaisir et son instruction. » Mais les explorateurs, eux aussi, aiment à voyager ; ils voyagent pour leur instruction et pour la nôtre, et ils y trouvent un plaisir extrême : ils sont heureux de voir ce que personne avant eux n’avait vu, plus heureux encore de prendre la mesure de leurs forces, de leur volonté et de leur courage en faisant ce que le commun des hommes est incapable de faire. Qui osera dire cependant que les Mungo-Park et les Caillié, les Barth et les Binger aient été de simples touristes ?

Si l’Académie a surfait les touristes en leur attribuant un désir de s’instruire qu’ils n’ont pas toujours, Littré, qui n’aimait pas beaucoup à sortir de chez lui, les a trop dépréciés. Il les définit dédaigneusement « des voyageurs qui ne parcourent des pays étrangers que par curiosité et désœuvrement. » Mais ils ne sont pas tous des désœuvrés ; ce sont souvent des gens très occupés, qui, ayant de temps à autre quelques mois de vacances, les emploient à se dégourdir les jambes. D’autre part, tous les voyageurs, quels qu’ils soient, sont des curieux. Le géologue qui parcourt les Alpes pour étudier la formation des glaciers a des curiosités plus vives que tel touriste, qui a fait l’ascension du mont Cervin, à la seule fin de pouvoir dire qu’il y est monté, que tel jour, à telle heure, un petit homme, perché sur une cime, s’est trouvé voisin du ciel, où il n’a rien découvert. Littré ajoute que les touristes « font une espèce de tournée dans les pays habituellement visités par leurs compatriotes. » J’en connais qui aiment à aller où personne ne va ; ils ont l’humeur solitaire et l’amour des nouveautés ; ils n’en sont pas moins des touristes. L’explorateur, le missionnaire, le voyageur de commerce et le voyageur savant se font de leur voyage une affaire ; le