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leur est donné par un architecte dont l’imagination se meut dans un cercle plus banal encore de combinaisons scolaires, et c’est ainsi que nous voyons nos places publiques garnies d’allégories et de bustes soutenus et portés par des socles et des piédestaux d’un tout autre style, ou sans aucun style, qu’on semble avoir pris au hasard dans un magasin commun de fabrications courantes. Autant, lorsqu’il prend part à la décoration d’un édifice, le sculpteur doit subir la discipline de l’ensemble architectural, autant devrait-il rester libre et pouvoir imposer le rythme de ses masses et de ses lignes lorsqu’il s’agit d’un monument essentiellement sculptural et dans lequel l’architecture n’a qu’à fournir des supports.

Nous ignorons si les auteurs des trois monumens commémoratifs suivant la formule, qui se suivent dans la grande nef, ceux de Joigneaux, Leconte de Lisle, Guy de Maupassant, se sont privés, ou non, de collaborateurs, mais nous devons constater que la formule (une colonne supportant un buste avec une ou deux figures allégoriques) naïvement et brutalement acceptée par le dernier, un peu mieux agrémentée par le premier, ne disparaît complètement dans une harmonie sculpturale que chez le second. Je serais donc porté à croire que M. Puech, avec raison, a trouvé lui-même l’ordonnance de son monument, le seul des trois où le buste, la figure, le support soient vraiment liés entre eux. Ce n’est pas d’ailleurs sans quelque effort que l’artiste a obtenu ce résultat. Pour dissimuler le pilier redoutable par la draperie flottante dont la Muse, se découvrant le haut du corps, enveloppe la gaine du buste qu’elle embrasse, il a dû exagérer à la fois l’abondance et le chiffonnement de cette draperie avec une virtuosité du XVIIIe siècle qui eût peut-être surpris et inquiété le grand poète. Cette Muse même qui le défend, lui protégeant du bras droit la poitrine, et, de la main gauche, élevant, derrière lui, une branche de laurier, cette Muse au torse élégant et presque délicat, d’une physionomie aimable et gentiment échevelée, malgré ses énormes ailes, n’eût-elle pas paru un peu moderne et mondaine au poète grave et rude des Poèmes antiques, barbares et tragiques ? M. Puech a pensé à Praxitèle plus qu’à Phidias. Peut-être Leconte de Lisle l’eût-il invité à regarder plus loin, à remonter jusqu’à Onatas et Kanachos. En contemplant cet élégant monument dans le jardin du Luxembourg, les Parisiens auront, à coup sûr, l’idée d’un génie plus souriant et moins fier