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quotidienne. Néanmoins, ce n’est pas dans ces figures isolées, qui ne sont pas toutes campées avec la même décision, que la maîtrise du compositeur s’affirme avec le plus d’autorité. Les épisodes des arrière-plans, au contraire, toute la foule rangée près des portes de la ville, au pied des murailles gallo-romaines, dans les deux premiers compartimens et, dans le dernier, les affamés qui disputent leurs chargemens aux portefaix, se combinent avec un rare bonheur de lignes, dans la variété enchevêtrée de leurs mouvemens. La plupart des figures y sont même, dans l’indication des formes et dans leur modelé, poussées avec plus de fermeté que certaines figures des premiers plans dont la simplification excessive aboutit à des profils mal équarris, enveloppant des masses incertaines, molles et creuses. La peinture raffermira sans doute, en les coordonnant par l’harmonie générale, ces comparses flottans. On ne saurait douter d’ailleurs, que ce fond d’architectures polychromes et d’horizons largement ouverts ne fournisse à M. Puvis de Chavannes l’occasion d’affirmer, d’une façon plus grandiose que jamais, son sentiment profond et son intelligence magistrale du grand style dans le paysage.

Cette force savante dans le groupement et dans la gesticulation des figures, cette rare intelligence du rythme expressif dans la combinaison des mouvemens, qui donnent tant d’autorité à ces simples cartons, rendent les yeux plus difficiles devant toutes les grandes peintures, officielles ou non, dont ce Salon, comme son voisin, paraît, au dire des amateurs mondains, plus encombré que décoré. Nous, qui ne nous piquons point d’être mondains, nous devons, néanmoins, nous efforcer de rendre justice à des efforts considérables et répondant à des besoins sociaux plus sérieux, en définitive, que celui de meubler agréablement un cabinet ou un salon. Les Pestiférés de Jaffa, le Sacre de Napoléon, le Radeau de la Méduse, le Plafond d’Homère, l’Entrée des Croisés à Constantinople, sont, après tout, la plus haute gloire de l’école française, et nous serions descendus bien bas le jour où s’éteindrait, dans l’âme des peintres, la fière ambition de s’adresser, à leur tour, au grand public, par la voix de l’art historique. Ce genre d’éloquence, il est vrai, exige, avec une vigueur de tempérament qui n’est point commune, de longues habitudes de travail sérieux et réfléchi qui sont plus rares encore ; c’est presque toujours par manque d’une instruction solide ou d’une exécution soutenue que la plupart de ces grandes toiles, hâtivement bâclées, repoussent aussi