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son essor, alors qu’il est gêné chez nous par l’inextricable complication des droits acquis, des abus consacrés, et des préjugés dont il est plus difficile encore de se défaire que d’un outillage démodé. En France, en outre, nous avons un secret mépris pour les applications de la science ; elle n’est vraiment belle à nos yeux que si elle ne sert à rien ; la vulgariser, c’est à nos yeux la profaner. Qui ne sourira si je conseille de recourir même à la réclame pour combler les lacunes de notre éducation, pour nous mettre sous les yeux, comme autant de signaux d’alarme, les progrès de nos concurrens ? Il y a urgence en effet, l’heure est décisive ; et tandis qu’on discutera la réforme de notre enseignement, nous trouverions, si nous voulions, bien des moyens rudimentaires, mais efficaces de frapper l’attention publique. Une propagande par les yeux, par l’affiche, le spectacle, les projections, le cinématographe, une perpétuelle leçon de choses pourrait s’organiser dans les écoles, dans la rue, dans les gares, partout où la foule se laisse surprendre ; dans les cafés même qui se comptent en France par centaines de mille et où des millions d’hommes actifs entrent chaque jour. Tout ce monde pourrait être instruit sans s’en douter. Nous réfléchirions malgré nous, et nous comprendrions la nécessité d’organiser notre résistance si on nous montrait familièrement nos rivaux à l’œuvre ; si on nous transportait aux États-Unis ou en Australie dans une ville de viande, dans une étable, une ferme modèle, dans un vignoble, un verger, une minoterie, une forge, une usine monstre ; si on nous faisait voir un troupeau passant de la prairie à l’abattoir, dans des chambres frigorifiques ou dans des wagons et sur des paquebots perfectionnés. Nous serons sur nos gardes si on nous donne le spectacle d’une de ces imprimeries lithographiques de l’Amérique du Sud qui vivent de la contrefaçon de nos marques de fabrique. Nous rirons moins du péril jaune si nous voyons des milliers d’ouvriers chinois et japonais fabriquer en masse des produits européens avec nos métiers ; nous saurons mieux le prix du temps si on nous fait entrevoir à New-York, à Londres, des voyageurs trouvant place dans des chemins de fer aériens ou souterrains et des omnibus à un sou, tandis que nos Parisiens attendent humblement depuis si longtemps des trains qui ne sont pas encore en route et des omnibus toujours complets !

Par les yeux ! je ne vois pas d’autre moyen, quant à présent, de nous avertir, de souligner notre ignorance et notre routine, que