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aveugle et du plus barbare égoïsme n’auront qu’un temps, M. de Brandt l’a prévu ; les Anglais seront évincés par les Allemands plus sobres, plus modestes, plus économes, mais les Allemands seront à leur tour évincés par les indigènes.

La contrefaçon, en attendant, sert de transition ; et c’est l’Europe encore qui l’a enseignée, perfectionnée. Les imprimeries américaines dont nous parlions plus haut ne sont pas arrivées toutes seules à vivre de l’imitation de nos étiquettes ; c’est en Europe que la falsification de nos produits a pris naissance, a même atteint les proportions d’une grande industrie, — donnant ainsi un motif de plus à nos concurrens lointains pour fermer leurs ports à nos envois devenus suspects. Hambourg et Brème ont fabriqué des vins et des conserves de Bordeaux comme des cigares de la Havane, comme des couteaux de Sheffield ; c’est une nouvelle spécialité qui a provoqué les plus violentes protestations, particulièrement en Angleterre, où l’on s’est aperçu, comme on sait, que beaucoup des articles anglais vendus à Londres, étaient made in Germany. Les brevas, les panatellas de Hambourg font le tour du monde et s’expédient même aux Antilles. Brème a exporté pendant longtemps des caisses de Château-Laffitte admirablement cachetées et étiquetées, qu’on vendait 2 francs la bouteille et qui ne coûtaient que le verre, la manipulation et l’emballage. On a vu des industriels d’outre-Rhin, plus inventifs, se faire adresser à Cognac, poste restante, des commandes qui leur étaient retournées en Allemagne, ce qui permettait d’expédier à bon compte, revêtues de nos grandes marques, des caisses d’eaux-de-vie de pommes de terre ou d’alcool de bois. Mais de si belles idées se propagent et nos concurrens ne manquent pas d’en profiter. Contrefaçon pour contrefaçon, la leur, disent-ils, vaut encore mieux que celle de l’Europe ; elle a chance d’être plus sincère ; et si on fabrique aujourd’hui de faux vins de Bordeaux, au moins les fabrique-t-on avec du vin dans les nombreux pays extra-européens où il abonde. Là, ce n’est plus la contrefaçon, c’est l’imitation : elle s’y est organisée méthodiquement comme tout le reste. Les Américains sont venus enrôler à prix d’or, par l’intermédiaire officiel de leurs consuls, dans notre Médoc et dans les Charentes, nos ouvriers, nos contremaîtres ; ces derniers sont partis avec le matériel le plus moderne, heureux et de bonne foi très fiers de ce rôle d’éducateurs qu’on attendait d’eux. D’autres ensuite les ont rejoints, attirés par les conditions faites aux