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composer ; un léger changement, une feuille remplacée par un fruit, une arabesque modifiée, et la contrefaçon est mise en vente presque en même temps que l’original, qualité généralement inférieure, frais généraux moindres, prix plus bas, mais succès assuré. Le Japon, comme les États-Unis, ne manque pas de bénéficier de nos modèles, et on me signale l’envoi de ses premiers essais, des tissus de soie ordinaire, mouchoirs, doublures, foulards, et vendus en France même, à Avignon, à des prix dérisoires, 65 centimes le mètre. Si ces tissus peuvent à ce prix payer le cultivateur, l’industriel, le voyage, les intermédiaires, les droits, et laisser encore au commerçant un bénéfice, en venant se vendre jusqu’en France, à plus forte raison prendront-ils la place des nôtres sur des marchés neutres où le goût est peu exigeant et l’argent rare.

Je pourrais mentionner en passant Limoges, que la concurrence, les tarifs douaniers, la machine menacent à la fois, ou encore Beauvais dont les fabricans ont eu la surprise de voir les imitations de leurs brosses figurer avec succès dans la section japonaise de l’Exposition de Chicago. Mais je dois abréger, et j’arrive à Bordeaux où l’effet de la concurrence est peut-être plus sensible encore que partout ailleurs. On connaît le déclin du port ; quant à la ville, si riante, si justement classée parmi les plus belles, ses hôtels du siècle dernier trahissent la gêne ; ils commencent à se délabrer, deviennent trop vastes pour notre temps ; on les divise en appartemens qui ne se louent pas, on y installe au rez-de-chaussée, à l’entresol, des échoppes, des estaminets, comme dans les palais de Venise. Pourquoi ? le prix des vins est avili. L’habitant de Bordeaux a été gâté, et son pays est plus atteint qu’aucun autre, parce qu’il a été plus heureux ; il n’a vécu que d’un seul produit, la vigne que le soleil mûrissait pour lui. Après le fléau du phylloxéra et l’application des tarifs douaniers qui s’élèvent de toutes parts, des maladies nouvelles, mildew, oïdium, black-rot, etc., semblent s’être acharnées à entraver la reconstitution de nos vignobles. Ces difficultés ayant presque partout coïncidé avec l’organisation d’un savant régime protecteur, les concurrences que nous savons se sont développées. J’ai parlé de celles des pays lointains, mais j’aurais dû commencer par l’Europe ; les Dardanelles même, la Syrie, la Tunisie, l’Algérie, comme la Grèce, l’Espagne, l’Italie, ont fait appel à nos contremaîtres et vendent leurs vins à la place des nôtres, même chez nous, où le goût s’est avili. Le public français