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de leurs plaintes ; ils ne soupçonnent pas que des cultivateurs du centre de la France ont avantage à aller vendre leurs oies et leurs dindes à Londres plutôt qu’à Paris où leurs frais sont doubles, grâce à l’octroi, et atteignent 1 fr. 50, 2 francs, jusqu’à 4 francs par tête de volaille ; de même que nous avons intérêt à acheter nos œufs en Russie plutôt qu’à Toulouse, tant nos transports intérieurs sont lents, onéreux. En ne comptant que la charge des droits d’octroi, Paris impose à ses consommateurs et aux producteurs de la province un tribut annuel de 160 millions. Ajoutez cette somme et toutes celles que perçoivent les autres villes de France au total de nos impôts…

Ce qui aggrave la rigueur de ces taxes intérieures, municipales ou autres, c’est qu’elles ne diminuent pas à mesure que la concurrence avilit les cours ; elles restent, pour la plupart, fixées d’après les prix des temps prospères. Prenez la bougie ; elle a été frappée après la guerre d’un droit très fort, 30 centimes par kilogramme ; mais depuis lors sont survenus les progrès du gaz, de l’électricité, du pétrole et des essences ; la bougie a baissé de moitié, les fabriques ont disparu les unes après les autres ; celles qui subsistent paient toujours le droit de 30 centimes. Et de même pour nombre d’autres produits ; si le sucre coûte 15 centimes la livre à Batavia, 30 centimes à Londres, il coûte le double à Paris. L’industrie des soies artificielles, à peine née, est déjà menacée d’être chassée de France par les taxes intérieures dont sont frappées les matières premières qu’elle emploie et que produit notre agriculture : 450 francs de droits par 100 kilos de produits fabriqués !

La France est couverte de ces taxes de consommation disproportionnées avec la valeur actuelle des produits, qu’il s’agisse de l’alcool industriel, de la bougie, du vin, du sucre, du sel ou des allumettes ; c’est une poussière presque impalpable qui s’abat sur tous les habitans sans distinction, oisifs ou laborieux, riches ou pauvres, mais qui devient lourde en s’accumulant ; et l’étude de ces infiniment petits faits explique seule comment peu à peu la production française, si on ne lui vient pas en aide, finira par être mise hors de combat.

Si du moins nous avions l’espoir lointain de voir diminuer ces charges, mais que fait l’Europe ? Plus absorbée que jamais par ses querelles, ses préoccupations surannées, sa politique du congrès de Vienne, elle continue à se croire seule au monde et