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temps étaient fausses ; elles ne figurent dans leurs vers qu’à l’état d’exception : c’est par système qu’on les multiplie dans les jeunes écoles. M. Viélé Griffin aux premières pages de la Clarté de Vie, publiée cette année même, fait rimer moiré avec forêt, prés avec secrets, tête avec muette, pâle avec étale, gauche avec reproche, haute avec flotte, accable avec érable, dentelé avec pantelait. Et comme ce n’est l’usage de prononcer ni foré, ni secré, ni tette, ni étâle, ni reprôche, ni flôte, ni erâble, ni pantelé, l’oreille chaque fois est choquée et regimbe. Elle subit la même impression pénible que nous éprouvons à entendre défigurer nos mots par une prononciation étrangère, ou encore gasconne, normande ou picarde. C’est une remarque sur laquelle on a souvent insisté, que le besoin de changer les principes de notre versification s’est fait surtout sentir à des poètes nés hors de nos frontières. Ce sont des Belges, des Grecs, et des Anglo-Saxons qui travaillent à cette œuvre française. Leur sollicitude ne nous laisse certes pas ingrats ; seulement nous nous méfions de la justesse de leur oreille. — Je trouve chez M. Henri de Régnier l’emploi répété d’un système un peu différent, intermédiaire entre celui de l’assonance et celui de la rime. Tantôt il s’en faut d’une consonne : glaive et lèvre. Tantôt au lieu de celle qu’on attend c’est la consonne voisine qui arrive : citerne, referme ; saluâmes, ânes. Cela rime à peu près. Mais dans l’échelle des valeurs esthétiques le jeu des « à peu près » est-il très supérieur aux calembours de la rime riche ? — Ni le système de l’assonance, ni celui de la rime fausse, ni celui de la rime par à peu près n’ont chance de s’imposer ; il n’est guère probable non plus qu’on puisse revenir tout uniment à la rime « suffisante » des classiques. C’est donc que sur ce point toute la réforme consiste à appauvrir légèrement la rime, ou plutôt à rejeter ce qu’il y avait de criard dans son luxe et d’insolent dans son opulence.

Beaucoup plus grave est la réforme qui porte sur la structure intérieure du vers. Un vers dépourvu d’accent tonique à la sixième syllabe passe encore à l’heure qu’il est pour un vers faux. Toute la question est de savoir si ce n’est pas là un exemple de ces règles provisoires appelées à disparaître précisément par suite d’une évolution régulière. Le vers coupé à l’hémistiche, suivant le précepte de Boileau, est le type même du vers classique. Si d’ailleurs on croyait que les poètes du XVIIe siècle n’en ont pas connu d’autre, on se tromperait lourdement. Racine, La Fontaine nous offrent l’exemple des coupes les plus diverses. Grâce aux libertés que comportait le genre, les poètes comiques du XVIIe et du XVIIIe siècle avaient, bien avant Victor Hugo,