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ment de ce qu’il a, qui sait le mieux utiliser les moyens dont il dispose, qui promet le moins et qui tient le plus. Il semble, en vérité, à entendre ce qui se dit, à lire ce qui s’écrit, que l’humanité soit condamnée au mouvement perpétuel, et que les ministères, pour mériter de vivre, doivent proposer et faire réussir des réformes à jet continu, sans trêve ni repos, sans un moment de relâche ou de répit. N’est-ce donc rien pour un gouvernement que de bien gouverner, avec fermeté, avec prudence, avec mesure ? N’est-ce donc rien pour une administration que de bien administrer, en appliquant des règles éprouvées par l’expérience et en les modifiant peu à peu pour les adapter aux besoins nouveaux ? N’est-ce donc rien que de veiller au développement normal de la vie nationale, de le favoriser, de le rendre à la fois plus large et plus sûr ? N’est-ce donc rien que de surveiller nos intérêts au dehors, de manière que, dans l’évolution ininterrompue des choses, aucun ne soit compromis ou sacrifié ? Un gouvernement qui s’imposerait cette tâche, et qui saurait la remplir, ne nous paraîtrait pas si méprisable. D’autres pays s’en accommodent et s’en trouvent bien.

Le groupe socialiste n’est pas très nombreux à la Chambre, mais il y est actif, bruyant, envahissant ; il a quelques orateurs de talent ; il s’occupe de tout ; aucune question ne paraît lui être étrangère, et, bien qu’il n’en ait encore résolu aucune, il a la prétention d’apporter au monde un idéal supérieur grâce auquel elles se résoudront toutes, un jour, avec une extrême facilité. Il faut entendre parler M. Jaurès de cet idéal, encore trop élevé pour le commun des hommes, il veut bien l’avouer, et auquel il n’est pas arrivé lui-même d’un seul coup. Sa parole devient lyrique, elle se perd dans les nues ; on ne comprend pas très bien ce qu’il dit, quelquefois même on ne le comprend pas du tout ; mais cela a grand air et on est intéressé tout de même. Il ne manque à M. Jaurès que la précision, qui est bien quelque chose en politique, mais on ne peut pas tout avoir. Des hauteurs où il est monté, il regarde un peu en pitié le vieux programme radical. Il ne le renie pas, certes ! et à quoi bon ? Seulement cela lui paraît mesquin, presque indifférent, et en somme un peu puéril. Ce n’est point par là qu’il faut, à son gré, aborder les problèmes qui s’imposent en ce moment à l’activité humaine, on y perdrait du temps et des forces qui peuvent et qui doivent être beaucoup mieux employées. Il est convaincu que lorsque la révolution sociale sera faite, lorsque la propriété sera supprimée, lorsque le collectivisme régnera sur la terre, les petites questions qui ont si fortement passionné le parti radical, pour lesquelles il a livré tant de combats, auxquelles il s’est si ingénument acharné, seront résolues par la