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Pour entretenir dans les esprits ces rêves de magnificence, le Directoire donna une fête qui rappelait les pompes de l’empire romain. C’était l’entrée triomphale à Paris des objets d’art conquis en Italie. On en fit une cérémonie et, afin d’y imprimer une couleur républicaine, on la plaça le 9 thermidor (27 juillet, anniversaire de la chute de Robespierre. Le nom de Robespierre évoquait le fantôme odieux de la Terreur ; la prise de Malte, le triomphe d’Italie évoquaient l’image glorieuse de Bonaparte, et le nom de ce général vola de nouveau sur toutes les bouches. On avait beau faire, ce nom, comme le dit un contemporain « se mêlait désormais à tout. » Il se mêlait surtout à ce qui rappelait César. Les dépouilles opimes étaient arrivées sur des bateaux ; on les débarqua à Charenton ; on plaça les caisses qui les contenaient sur des chariots attelés de chevaux richement ornés : en tête, les manuscrits et les livres ; puis les minéraux et les fossiles ; puis des lions, des tigres, des panthères dans des cages de fer au-dessus desquelles se balançaient des branches de palmier ; puis les caisses contenant les tableaux, avec des affiches : la Transfiguration de Raphaël, le Christ de Titien ; puis les statues, dressées sur les chars, au milieu des couronnes et des branches de laurier : l’Apollon du Belvédère, l’Antinoüs, le Laocoon, le Gladiateur. Devant chaque section de ce cortège encyclopédique, marchait la classe correspondante de l’Institut ; des chœurs escortaient, avec des chants d’allégresse. Au Champ-de-Mars, les cinq membres du Directoire, debout, près de l’autel de la Patrie, reçurent cette splendide offrande du génie humain faite à la gloire de la République par les armées françaises[1].

Le 6 septembre, on apprit le débarquement de Bonaparte en Egypte ; le 11, un émissaire de Constantinople ajouta quelques détails sur l’événement ; le 14, le Directoire adressa un message aux Conseils, annonçant que l’Egypte, régénérée, dépendrait « le centre d’un commerce immense, et surtout le poste le plus redoutable contre l’odieuse puissance des Anglais et leur commerce usurpateur. » Quelques heures après, un courrier apporta la nouvelle que Nelson, arrivé sur les côtes d’Egypte, dans le sillage de Bonaparte, avait, le 2 août, détruit la flotte française à Aboukir. Les destinées étaient rompues. Ce fut dans le Directoire un assaut de récriminations contre cette expédition chimérique, mal

  1. Delescluze, l’Atelier de David, p. 205 et suiv.