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créés. Les grammairiens n’inventent pas la langue, ni les théoriciens n’inventent l’art. Ils inventent aussi, mais dans un autre domaine ; et leurs inventions, comme celles qu’ils discutent, devront, à leur tour, être contrôlées et subir l’évolution lente qui les érigera en corps de doctrine exprimant la façon générale de comprendre une langue ou d’apprécier des œuvres d’art qui sera celle d’un peuple, d’un siècle, ou peut-être, en certains cas, de l’humanité. L’invention est chose spontanée ; elle est produite par des forces psychiques puissantes, souvent mal connues de l’inventeur même, mal harmonisées, peu conscientes. Elle a quelque chose de libre, d’imprévu, de rude, de gauche, de heurté, de vivant qui contraste fort avec la régularité, la monotonie, la pureté, et l’apparence, pour ainsi dire, cristallisée, des idées achevées, des théories parfaites, des sentimens reçus, imposés par la coutume. Aussi ne faut-il pas s’étonner si nous voyons les mêmes forces mentales, dans leur jeu spontané, non soumis encore à la pression des faits sociaux et des nécessités de la vie, donner naissance à des phénomènes très différens par l’aspect et surtout par l’importance. L’esprit de l’homme primitif, — et, c’est un point sur lequel il faudra revenir, nous sommes tous des primitifs, nous en avons tous la gaucherie et la fraîcheur, par rapport aux nouvelles formes de vie et de pensée qui commencent à s’ébaucher en nous, — l’esprit de l’homme primitif s’agite en cent façons, comme un enfant gesticule, et ses idées durables se forment et se développent comme se coordonnent les mouvemens de l’enfant. A côté d’idées que le temps fera prospérer, de sentimens que la vie développera, l’esprit produit à tort et à travers, et toujours par les mêmes procédés spontanés, des milliers d’ébauches sans avenir, des rêves avortés de passions embryonnaires qui ne grandiront jamais.

La grande force qui engendre cette multitude de germes vivans d’idées, de doctrines, d’habitudes et d’affections nouvelles, ce sont les besoins mêmes de l’homme, plus ou moins aperçus par lui, les aspirations de son être entier ou des élémens qui le composent ; mais la loi selon laquelle ces besoins se forment et se satisfont est celle de l’analogie. Le rapprochement, la soudure par l’esprit de choses distinctes réunies elles-mêmes à des choses semblables, voilà la base de l’invention et la cause des transformations psychologiques et de tout ce qui en dérive, langues, philosophies et littératures. Ce procédé même de l’esprit n’est