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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août.


Depuis l’assassinat du Président Carnot, rien n’égale en horreur l’impression qui a été causée en Europe, ou plutôt dans tout le monde civilisé, par celui de M. Canovas del Castillo. L’anarchisme a fait une nouvelle victime. Le coup a été dirigé d’une main sûre par un homme inconnu ; on n’est pas encore bien certain de connaître son nom ; il sort de la foule obscure, armé d’un revolver comme il aurait pu l’être d’un couteau ou d’une bombe ; il a visé M, Canovas comme il aurait pu, d’après ses propres déclarations, en viser un autre, le général Polavieja par exemple, de même qu’il aurait pu diriger son arme meurtrière sur la foule anonyme entassée dans un théâtre, ou sur une procession. Tout cela s’est vu.

On cherche, par une curiosité qui n’est pas vaine, à se rendre compte de l’état intellectuel et moral qui peut provoquer de pareils crimes, et on est étonné autant qu’effrayé de la prodigieuse simplicité de ces cerveaux où, dans une ombre épaisse, se détache et surgit une idée, une seule, toujours la même, idée de vengeance par le sang. Vengeance de quoi ? On serait souvent bien en peine de le dire. De quoi Caserio voulait-il se venger en assassinant M. Carnot ? L’assassin de Santa-Agueda a pu répondre d’une manière un peu plus précise à cette question : il voulait venger ses frères de Montjuich. Qu’est-ce que Montjuich ? Une prison où sont enfermés les complices de l’attentat de Barcelone. C’est à Barcelone qu’une bombe, on s’en souvient, a été jetée au milieu d’une procession. N’est-il pas naturel qu’un acte aussi monstrueux ait amené une répression rigoureuse ? Certes, même dans une répression ayant ce caractère, il est des limites que l’humanité interdit de dépasser : rien ne permet de dire qu’on en soit sorti, et les récits fantaisistes que les anarchistes ont fait courir à ce sujet ont été démentis par des témoignages directs et formels. M. Canovas del Castillo a été sans doute un homme énergique : mais il était par-dessus tout un homme éclairé, d’un esprit élevé, d’une âme généreuse et largement