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et sa propre vie. Il se plaisait, à l’occasion, à en souligner le sens profond. L’on a retrouvé, parmi ses papiers inédits, deux morceaux assez significatifs à ce point de vue, pour qu’on puisse les extraire du Gœthe-Jahrbuch, où ils ont été publiés en 1888. Le premier est une sorte de compliment aux spectateurs, que voici :

« Que la pièce soit recommandée aux meilleures têtes, — — nous voudrions bien le répéter : — mais l’applaudissement seul donne de l’importance. Peut-être qu’on pourrait trouver quelque chose de mieux.

« La vie humaine est un poème pareil relie a bien son commencement et sa fin. — Mais en tout, elle ne l’est pas. Messieurs, ayez la bonté d’applaudir ! »

Évidemment, Gœthe ne put jamais songer sérieusement à terminer sa « tragédie mondiale » par ces couplets de vaudeville. Pourquoi donc éprouva-t-il le besoin de les écrire, sinon parce qu’il pensait sans cesse à son œuvre et demeurait toujours préoccupé de ses destinées ? Je retrouve le même sentiment, exprimé avec plus de poésie et plus d’ampleur, dans le second morceau qui porte le titre d’adieu (Abschied), dont le lyrisme obscur traduit l’attachement du poète à ses créations et l’étroite dépendance où il est des forces supérieures qui entraînent le monde et le siècle :

«… Heureux celui que l’Art aimable attire on paix chaque printemps dans un silence nouveau, satisfait de ce qu’un Dieu lui adonné. Le monde lui révèle les traces de son propre esprit ; nul obstacle ne le décourage ; il avance selon la loi de sa nature. Et pareil au chasseur sauvage, l’audacieux ouragan de l’Esprit du Temps mugit dans les hauteurs. »

Que pendant même qu’il écrivait la première partie de Faust, Gœthe ait songé à la seconde, on n’en saurait douter : il l’affirme à maintes reprises ; et l’on peut tenir pour certain que quelques scènes (le début de l’acte III, devant le palais de Ménélas, à Sparte) étaient rédigées en 1802. Cependant, pour des raisons que nous ignorons, il en abandonna le projet. Peut-être l’oublia-t-il tout simplement : les poètes ont de tels caprices. D’ailleurs, d’autres œuvres le sollicitaient. De longues années passèrent, — près d’un quart de siècle. En 1824, pendant qu’il travaillait avec Eckermann à la continuation de Vérité et Poésie, il retrouva parmi ses notes le plan de l’ouvrage délaissé. Il le communiqua à son fidèle famulus. Celui-ci, toujours prêt à l’admiration, s’enthousiasma, et réussit