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à les employer de son mieux, s’étaient écoulés sans grand profit pour son art. En somme, ses copies exécutées d’après les tableaux de Titien avaient fait pour lui le principal attrait de ce séjour en Espagne. Mais au point de vue de ses intérêts et de sa fortune, le résultat dépassait ses espérances. Aux dispositions assez peu bienveillantes que le roi avait d’abord manifestées à son égard, succédait bientôt une faveur éclatante. Il revenait de Madrid comblé des marques de cette faveur, et Philippe IV avait dès lors conçu pour sa personne autant que pour son talent une prédilection telle que, dans l’avenir, il allait en quelque sorte accaparer ses œuvres, pour en décorer tous ses palais. Les souvenirs laissés par Rubens en Espagne devaient d’ailleurs être si profonds et si vivaces que plus de soixante ans après, Luca Giordano appelé à la cour de Charles II et ayant à peindre pour lui cette grande Allégorie de la Paix qui est aujourd’hui au musée du Prado (n° 211) ne sut pas imaginer de composition mieux appropriée à son dessein, que de représenter au centre de son œuvre, en pleine lumière, Rubens occupé à peindre et entouré de figures symboliques qui, du mieux que l’avait pu l’artiste, rappelaient les molles carnations et les grâces un peu massives de la Flandre. En revanche, Rubens, accommodé par lui à l’espagnole, avait pris, sous le pinceau facile et exubérant de l’Italien, je ne sais quel air de bellâtre qui, en dépit de sa ressemblance plus que douteuse, réalisait en quelque façon le type légendaire du grand artiste et du grand seigneur. Tel qu’il est, cet hommage reste significatif et témoigne de la persistance du prestige qu’après un si long intervalle Rubens avait encore conservé à la cour d’Espagne.


IV

Au milieu des soins que lui imposait son départ précipité pour l’Angleterre, Rubens avait à peine trouvé le temps de passer trois ou quatre jours à Anvers pour y embrasser ses fils, voir ses amis proches, et mettre un peu d’ordre dans ses affaires les plus urgentes. Ce n’est pas impunément qu’après une pareille absence il avait goûté quelques instans la satisfaction de se trouver chez lui, car, écrivant quelques mois après à Dupuy et à Peiresc (de Londres, 8 et 9 août 1629), il se plaint à tous deux de l’obligation où il a été de quitter de nouveau son foyer, où « cependant sa