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tous ces mélanges et toutes ces contradictions, toute cette variété d’associations et de nuances dont est faite aujourd’hui notre sensibilité. L’amour de la vie y alterne avec une profonde lassitude, la soif du plaisir avec le dégoût. Joignez à cela des nerfs si impressionnables que ce qui est antipathique à l’homme raffiné leur cause, à eux, une véritable souffrance physique. Un besoin d’indépendance constant et foncier, une horreur instinctive de tout programme et de toute réglementation. Car Peter Nansen est avant tout un artiste, il entend se créer à soi-même sa vie et en rester maître, et rejeter loin d’elle les misères et les platitudes de la réalité. C’est un artiste, et du seul point de vue de l’art il juge toutes les choses de ce monde. Il aime le luxe, et il aime l’or, mais seulement comme un moyen d’atténuer un peu la laideur de la vie. Et c’est de la même façon qu’il aime l’amour. Rien ne lui plaît autant que le jeu de sentimens délicats et légers, sans cesse changeans. Dans l’amour aussi il sait rester un artiste, plein de fantaisie et de raffinement. Et d’année en année, à travers les crises amoureuses, son cœur devient plus jeune, plus pur, et plus riche. Il a beau jeter au vent ses trésors, comme un roi prodigue : il ne fait point banqueroute. Toujours de nouvelles étincelles jaillissent de la cendre. »

Le portrait se poursuivait longtemps encore, sur ce même ton d’enthousiasme lyrique, et avec cette même abondance de renseignemens imprévus. Il nous révélait, par exemple, que M. Peter Nansen déteste le mariage, qu’il « dépense ses krones en bibelots, en étoffes, en dentelles, dont il fait hommage aux passagères maîtresses de son cœur », qu’en amour il ne « cherche pas la grande passion, par peur des responsabilités, par haine des gros mots et des scènes violentes », et que d’ailleurs ses oreilles « commencent à se fatiguer d’entendre, à sa porte, le continuel frou-frou de robes de soie. »

Mais ce n’est point pour sa valeur littéraire que j’ai cité cette étude de M. Poppenberg, ni même pour la portée de ses renseignemens biographiques et critiques. Je l’ai choisie, un peu au hasard, comme un spécimen de la façon dont l’œuvre de M. Peter Nansen est aujourd’hui appréciée en Allemagne, ou plutôt de la façon dont elle y était appréciée, il y a un an ou deux, car, depuis lors, la situation littéraire du jeune écrivain danois s’y est encore accrue considérablement. Je ne crois pas qu’il y ait désormais un romancier, allemand ou étranger, dont les nouveaux livres soient attendus avec plus d’impatience. La gloire de ce débutant a laissé bien loin derrière elle les renommées, un moment si brillantes, de MM. Strindberg, Arne Garborg, Knut Hamsun, et des autres jeunes auteurs Scandinaves. Ses livres paraissent maintenant à