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croisé, d’où est sortie la situation la plus anormale qu’on puisse imaginer. Aussi longtemps que la campagne militaire a continué, on n’a vu de part et d’autre que le but à atteindre, et l’espérance d’une solution prochaine contenait toutes les énergies ; mais, à présent, les hostilités ont cessé, l’ardeur militaire est tombée, les grandes questions paraissent réglées, au moins en principe, et de toutes parts, l’impatience est grande d’arriver enfin à un dénouement, qui remette plus ou moins toutes choses en l’état. On a dit aux insurgés qu’on s’occuperait d’eux lorsqu’on en aurait fini avec les questions continentales. Ils ont cru qu’on ne leur demandait qu’un délai de quelques jours, et ils ont mis de la bonne volonté à l’accorder. Mais ils voient, comme toute l’Europe, avec la même stupéfaction et probablement avec un peu plus d’irritation, les jours succéder aux jours, les semaines et les mois s’écouler les uns après les autres, sans que les solutions attendues interviennent, sans que le conflit turco-grec arrive à son terme. Leur impatience augmente ; leur inquiétude devient de l’anxiété. Aussi longtemps que l’été durera, on les contiendra peut-être ; mais, dès les premiers froids, les choses changeront de caractère. La campagne ne sera plus tenable. La misère augmentera dans les villes. Alors, on ne sera plus seulement en présence d’une question politique, mais d’une véritable question sociale, aggravée par toutes les fautes commises depuis quelque temps. Le désespoir et la faim sont de très mauvais conseillers : il est à craindre que leurs conseils ne soient suivis. Les fusils peuvent partir tout seuls entre des doigts exaspérés. De plus en plus, les nouvelles de Crète deviennent alarmantes. On se demande ce que sera l’avenir prochain. Comment expliquer que l’Europe reste insensible aux avertissemens qui lui arrivent de tous côtés, et qu’elle continue d’y répondre par la même phrase stéréotypée, à savoir qu’on s’occupera des affaires de Crète quand on aura réglé les affaires turco-grecques ? Celles-ci, à coup sûr, sont très urgentes, mais celles-là ne le sont pas moins. La seule différence entre les unes et les autres est que le temps aide peut-être — nous voulons le croire, puisqu’on le dit — à l’heureux règlement des affaires continentales, tandis qu’il rend de plus en plus difficile et peut-être inextricable celui des affaires insulaires. Les négociations poursuivies à Constantinople entre les ambassadeurs marchent lentement sans doute ; elles reviennent trop souvent sur leurs pas ; pourtant elles marchent ; elles donnent à l’Europe l’illusion du mouvement ; elles sont toujours sur le point d’aboutir ; peut-être aboutissent-elles au moment où nous écrivons ces lignes. En Crète, au contraire, il n’y a ni négociations entre les puissances, ni intervention active et utile