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vite jusqu’à des hauteurs en partie atteintes aujourd’hui, où domineront les forces spirituelles et où la question du pouvoir physique cessera d’avoir de l’importance dans les relations humaines. La direction de l’humanité appartient chez nous à ceux qui ont la plus grande âme, c’est-à-dire à ceux qui participent le plus de l’esprit divin.

Faut-il vraiment croire que les femmes, devenues capables d’une action indépendante, grâce à l’égalité économique, ne sont plus pour cette seule raison ni coquettes, ni frivoles ; et que les hommes du même coup ont renoncé au code spécial qui leur permettait tant de licences ? M. Bellamy l’assure. La morale est nécessairement une pour les deux sexes ; et on a réformé ce mariage d’autrefois qui, tout brodé qu’il était d’astragales sentimentales et religieuses, n’était en réalité qu’une transaction très prosaïquement économique. Il faut dire que certains progrès avaient déjà commencé aux États-Unis bien avant la révolution, beaucoup de femmes refusant de se dépouiller de leur nom pour prendre celui du mari : exemple, une célèbre adversaire de l’esclavage des noirs, Lucy Stone, qui ne fut jamais désignée autrement, tout en vivant dans les meilleurs termes avec M. Blackwell qu’elle avait épousé ; mais ce qui était alors une excentricité devint assez vite un droit.

Les dames du XXe siècle ne changent pas plus leur nom en se mariant que ne le font leurs conjoints ; et, pour les enfans, tout s’arrange sans peine, dans un pays où, entre le nom de baptême et le nom de famille, figure presque toujours un nom de milieu ; les filles portent pour nom de milieu celui de leur père et les garçons celui de leur mère.

Il va sans dire que l’habitude de la convention, de la tradition, du préjugé, aussi bien que la timidité, résultat d’une servitude immémoriale, empêcha longtemps la majorité des femmes de sentir le prix de la délivrance qu’on leur offrait ; mais ensuite, elles s’élancèrent dans le mouvement avec une ardeur dont l’effet fut décisif. On les vit renoncer volontairement à ce qui leur avait été le plus cher. Ainsi l’usage des bijoux est tombé depuis plus de deux générations. De fait, les diamans, réduits au rang de morceaux de verre, n’ont grand intérêt pour personne. L’offre d’un boisseau de perles ne vous assurerait plus dans une boulangerie la possession d’un petit pain, le crédit annuel alloué à chaque citoyen étant la seule valeur admise. L’or et l’argent ont encore leur