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les organise M. Bellamy, si invraisemblable que cette éducation poursuivie jusqu’au tombeau puisse paraître à des Européens ; d’où il ne résulte pas que tous les Américains de l’an 2000 doivent être nécessairement des savans et des philosophes ; mais ils auront la facilité d’étudier à tout âge et ils en profiteront.

La principale occupation, cependant, sera la politique, car il ne faut pas oublier que le peuple tient les rênes du gouvernement et qu’il est appelé à voter sans cesse et en mille occasions, sur un plan d’édifice ou sur le règlement de la température des bains publics, comme sur les plus importantes questions de l’union universelle. Le vote est la grosse affaire, facilitée du reste par le système téléphonique qui permet à la nation en masse de procéder au besoin comme fait un simple parlement. Les corps représentatifs correspondent aux anciennes Chambres, et celles-ci sont réduites aux fonctions dont s’acquittaient les comités. Au demeurant, il y a surtout des questions intérieures à régler. La garantie de la paix internationale, amenée par l’union universelle, est certes un grand bienfait, mais on en parle peu, tant elle est secondaire auprès de l’abolition de la guerre économique entre frères. Tout le monde admet que les batailles les plus meurtrières n’étaient pas aussi tragiques à beaucoup près que le combat quotidien pour l’existence.

Les Bostoniens laissent subsister leurs anciens forts, de même qu’ils conservent une sordide maison d’ouvriers (tenement house), comme témoignage historique de la barbarie des ancêtres. Le patriotisme d’autrefois, lequel était plus encore la haine ou la jalousie du voisin que le pur amour du pays natal, a fait place à un patriotisme nouveau qui n’a aucun caractère belliqueux. L’ancien patriotisme, aveugle et violent, haïssait les idées et les institutions étrangères uniquement parce qu’elles étaient étrangères ; il dressait contre elles une barrière plus infranchissable que les montagnes et que l’océan, les empêchant de faire leur chemin. Le nouveau patriotisme, produit naturel des nouvelles conditions sociales et internationales, ne considère les frontières que comme des délimitations de territoire utiles pour les convenances administratives, le drapeau n’est plus pour lui que le symbole de la concorde intérieure et ne rappelle qu’un contrat de fraternité.

Julian West s’étonne de voir si peu de bateaux dans le port de Boston ; c’est qu’on ne voyage plus que pour son instruction et son plaisir ; le commerce avec le dehors se borne aux objets