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Mais tandis qu’autrefois l’harmonie à la fin se refermait toujours, il nous plaît aujourd’hui qu’elle demeure entr’ouverte. Nous aimons que rien ne s’achève ; nous voulons des accords irrésolus, des cadences brisées ou trompeuses ; au lieu de la paix, l’inquiétude, et, plutôt que la fixité de l’être, la fuite éternelle du devenir. De cette évolution de l’esprit ou de l’idéal, les moindres choses d’art, les plus frêles romances sont des signes. Une mélodie de M. Massenet concluait déjà moins qu’une mélodie de Gounod ; une mélodie de M. Hahn conclut beaucoup moins encore. Dans Offrande et D’une prison, deux petits chefs-d’œuvre en ce genre, toute la tendresse, toute la tristesse, toute la beauté enfin consiste dans l’alternative monotone de deux accords étrangement conjoints. Au-delà de la dernière note du chant ils prolongent, avec l’écho de leur harmonie imparfaite, une interrogation mystérieuse éternellement sans réponse, un rêve dont il semble qu’on ne s’éveillera jamais.

Mais le charme des lieder de M. Malin ne tient pas seulement à l’irrésolution des harmonies. Il est fait aussi d’une sensibilité délicate, un peu maladive, et d’autres élémens encore : sobriété des moyens ; souci, trop rare aujourd’hui, quoi qu’ils en disent tous, de la déclamation et de la parole. Relisez Offrande ou D’une prison. Au-dessus des accords très profondément expressifs, la voix chante, expressive aussi. Elle articule nettement les mots ; elle les détache et les met en relief ; la couleur ou l’atmosphère de l’accompagnement les baigne, mais sans jamais les noyer. De leur valeur et de leur beauté, quelque chose sans doute leur est donné par l’harmonie qui les soutient et les environne ; mais quelque chose pourtant leur vient d’eux-mêmes, de leur propre fond, de cette musique mystérieuse que le verbe contient en soi et que trop peu de nos jeunes musiciens savent en dégager.

Et puis c’est en ces deux mélodies de M. Hahn que nous rencontrons pour la première fois la poésie de Verlaine associée à la musique. Qu’elles soient faites ou non l’une pour l’autre, la question n’est point à résoudre ou seulement à débattre ici. Qu’il y eût quelque chose encore à découvrir en poésie, et que Verlaine l’ait découvert ; quelque chose, a dit M. Jules Lemaître, « de moins précis, de moins raisonnable, de moins clair, de plus chantant, de plus rapproché de la musique », cela n’est point impossible, et cela d’ailleurs n’empêcherait pas de soutenir, avec d’égales raisons, ou que ce genre de poésie convient à la musique comme lui étant analogue, ou qu’il lui répugne, au contraire, par cette analogie même, et comme étant déjà quelque chose d’assez musical et rien que musical en soi. Mais ceci nous mènerait loin.