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l’oubli va toujours se creusant. La Réforme développe, dans les âmes d’élite, une religiosité d’élite ; mais cette religiosité, loin de les emprisonner dans l’édifice de l’Eglise officielle, les pousse dehors ; elles deviennent d’autant plus étrangères au protestantisme proprement dit qu’elles sont plus protestantes. La notion d’Eglise et la notion de protestantisme sont-elles compatibles entre elles ? en les conciliant de force, ne les condamne-t-on pas à s’entre-choquer sans trêve, à commettre l’une contre l’autre de perpétuels attentats ? Une organisation confessionnelle n’exclut-elle pas la liberté individuelle des consciences ? Voilà l’éternel fond du débat. Y a-t-il une place, dans l’Église de tous, pour ceux qui sont capables de se faire eux-mêmes leur christianisme ? Il en est beaucoup, parmi eux, qui croient que non.

L’Etat, lui, maintient que oui : de son mieux, il cache l’irrémédiable antinomie ; et c’est un spectacle curieux de voir comment la Réforme et l’État, en Allemagne, se gênent et se retardent mutuellement : la Réforme, en s’attachant au pouvoir épiscopal du souverain, même lorsqu’elle en souffre, en continuant de souhaiter les prévenances spéciales des pouvoirs publics, empêche l’Etat de devenir franchement laïque ; et c’est pourquoi M. Georges Pariset pouvait écrire récemment : « Ce sont aujourd’hui les pays qui ont adopté la Réforme, dont l’évolution politique est la moins avancée[1] » ; et, d’autre part, l’État, en maintenant les cadres factices des Églises officielles, empêche le principe protestant de se développer logiquement et retarde à son tour l’évolution religieuse de la Réforme. Malgré les intentions émancipatrices de certains hommes d’église, la Réforme est attachée à l’État ; c’est de celui-ci, non de celle-là, que pourra venir l’initiative d’un arrangement plus loyal.

Et si l’Etat, pour emprunter une autre expression de M. Georges Pariset, « trouvait le périlleux courage de s’amputer en quelque sorte de l’Église sur lui-même », on verrait peut-être l’Allemagne religieuse ressembler, à bref délai, à la Grèce d’il y a dix-huit siècles, où des écoles de philosophes, de rhéteurs, de semi-théologiens, proposaient aux âmes souffrantes divers moyens de communier avec l’idéal ; grâce aux progrès de la théologie ritschlienne, il y aurait là comme une haute école pour les consciences ; toutes les initiatives protestantes, libres enfin, s’y déploieraient avec

  1. Op. cit.. p. 836.