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D’un autre côté, si la Poésie française classique est quelque part, elle est même pour nous, et elle ne peut guère être uniquement pour des étrangers, que dans la tragédie de Corneille et de Racine, dans la comédie de Molière et dans la fable de La Fontaine. Voilà vraiment nos poètes ! et non pas, j’imagine. Clément Marot ou Malherbe, Jean-Baptiste Rousseau ni Voltaire. Jean Baptiste n’est qu’un déclamateur, et les trois autres ne sont que d’excellons prosateurs qui ont mis des rimes à leur prose. Je serais encore trop Français, — je veux dire trop étroitement renfermé dans les limites de notre goût national, — si je voulais faire prendre à des Américains Boileau pour un poète. Nourris comme ils sont de Shakspeare, je crains même d’avoir quelque peine à leur expliquer et à leur faire entendre ce qu’il y a de « poétique », au sens absolu du mot, dans la tragédie de Corneille ou dans la comédie de Molière. Je ramasserai donc dans une leçon tout ce qui s’est tenté chez nous d’efforts depuis Ronsard jusqu’à Malherbe, et je montrerai que, tous ces efforts n’ayant tendu, même ou surtout en poésie, qu’à faire prédominer l’esprit de cour ou de société sur l’esprit d’individualisme, ils ne pouvaient aboutir « poétiquement », sur les ruines du lyrisme et de l’épopée, qu’à la constitution du genre dramatique. Je tâcherai de faire voir ensuite ce que le genre dramatique pur, — indépendamment de toute addition, ou de tout mélange de lyrisme, — comporte en soi de vraie « poésie ». Et enfin, de Racine à l’autre Rousseau, Jean-Jacques ; joignant ensemble tous ceux de nos prosateurs du XVIIIe siècle qui se sont crus poètes, je montrerai, dans la longue décadence de notre poésie dramatique et, comme en réaction contre elle, dans le développement de l’individualisme les germes de la renaissance prochaine du lyrisme. Il faut nous y résigner ! nous n’avons eu de poètes, pendant cent cinquante ou deux cents ans, que nos auteurs dramatiques ; et si par hasard on élargissait le .sens de ce mot de « poète » jusqu’aux bornes de son étymologie, ce ne serait pas l’auteur de la Henriade, ou celui de Vert-Vert, qu’il faudrait joindre aux Racine ou aux La Fontaine, ce seraient Pascal, Bossuet, Fénelon, Rousseau.

Mais comment diviserai-je à son tour le XIXe siècle ? Et dans la ville où repose Edgar Poe, leur ferai-je la concession d’encourager les sympathies qu’on m’a dit qu’ils éprouvaient pour les Baudelairc et les Verlaine ? Ce qu’à Dieu ne plaise ! et au contraire, ce que j’ai dit de Verlaine et de Baudelaire en France, je le répéterai.