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historique, et, — puisque je fais tant que de le personnifier, — s’il était mort ; si enfin en mourant il nous avait légué des chefs-d’œuvre, et que ces chefs-d’œuvre fussent universellement reconnus pour les monumens du génie français ; c’est le sujet qu’il me faudrait. Mais, tout justement, un tel genre existe, et c’est la tragédie française. Je parlerai tout à l’heure à Bryn Mawr de l’Évolution de la tragédie française.

Assurément, trois conférences n’épuiseront pas les promesses de ce titre, et ne les rempliront même pas. Elles y répondront toutefois, si je puis mettre en lumière la loi de cette évolution, et je crois que je le pourrai, parce qu’elle est en effet très simple. On fait du grec à Bryn Mawr ; il y a même deux chaires de grec ; je pourrai donc rappeler le mot d’Aristote sur la tragédie grecque : « Après s’être essayée dans bien des directions, la tragédie se fixa quand elle eut reconnu sa vraie nature » ; — et elle en mourut. C’est à peu près l’histoire de notre tragédie française. Elle a reconnu sa « vraie nature », dans l’œuvre de Corneille, dans le Cid et dans Polyeucte, et je le montrerai dans une première leçon. Elle était lyrique et romanesque avant Corneille : lyrique, c’est-à-dire que le poète y représentait moins les événemens de la légende ou de l’histoire selon leur vrai caractère qu’il n’y exprimait l’émotion dont ces événemens l’avaient agité lui-même ; et romanesque, c’est-à-dire que les événemens ne s’y enchaînaient point sous la loi de la nécessité. En d’autres termes, c’est dans les chefs-d’œuvre de Corneille que la tragédie s’est déterminée ou constituée comme genre, en se distinguant des genres voisins, et comme en épurant sa définition ou sa notion de tout ce qui ne tendait pas à la réalisation de son objet. Elle s’est rendue « dramatique » en se conformant à la loi du théâtre, qui est de nous montrer des volontés en lutte contre elles-mêmes, ou contre d’autres, ou contre les circonstances ; elle s’est rendue « tragique » en donnant à cette lutte le cœur humain pour théâtre ; elle s’est rendue « poétique » en ne proposant d’alternative à ce combat de la volonté que de triompher ou de mourir. Et le Cid, Horace, Polyeucte, Rodogune en seront des exemples assez éloquens.

Je n’aurai pas non plus de peine à la montrer marquée des mêmes caractères dans Andromaque, dans Britannicus ou dans Iphigénie. Mais, puisque la détermination du genre n’est pas encore tout à fait achevée dans les chefs-d’œuvre de Corneille, et qu’aussi