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beau l’affirmer : Paris affronterait tout, siége et bombardement, avant de se rendre.

Des arrière-pensées s’agitaient au fond des âmes. Grandis, vieillis depuis dix-neuf ans sous le harnais impérial, ces innombrables soldats de l’armée du Rhin vivaient dans une légende de gloire, pensaient et réfléchissaient peu, accomplissaient leur métier avec une ponctualité blasée. Avec quelles appréhensions, quels doutes, ne devaient-il pas accueillir l’avènement d’un pouvoir nouveau ? Que les avancés, que les clairvoyans saluassent l’aube de la République, la masse, restée impérialiste par habitude plus que par fidélité, déplorait la situation ; et ceux mêmes qui maudissaient les fautes du régime eussent contribué, sans doute, à sa restauration, pour peu qu’elle ne coûtât point de guerre civile. Du Breuil, quoique à regret, jugeait l’écroulement de l’Empire irrévocable. L’avenir demeurait trouble. Mais, à ses yeux, dégagée de toutes considérations politiques, au-dessus des hommes mêmes, l’idée de la France dominait tout.

En attendant, pas de nouvelles du Gouvernement de la Défense nationale. Comment aucun de ses émissaires ne parvenait-il à Metz ? Comment Bazaine, de son côté, n’avait-il pu se mettre en communication ? Les officiers chargés du service des renseignemens, Charlys, le commandant Samuel, avaient pourtant à leur disposition des hommes sûrs. Le maréchal n’usait d’aucun, décourageait les bons vouloirs. Chaque jour, des gens du pays, ou bien des prisonniers échappés, se glissaient par le déversoir des eaux de Gorze, se jetaient à travers les vignes. L’arrivée d’un lieutenant, entré par l’aqueduc, n’avait tiré du maréchal que cette réflexion : « J’avais cependant donné l’ordre de faire sauter ce conduit ! »

Chose étrange, rappela Du Breuil, c’est de l’ennemi, intéressé à le tromper, que le maréchal sollicitait des renseignemens. Le 16, il envoyait son aide de camp, le colonel Boyer, au quartier général allemand. Le prince Frédéric-Charles était absent. Boyer retournait le lendemain aux avant-postes, insistait pour être reçu. La réponse du Prince, parvenue dans la soirée, avait confirmé de tous points la capitulation de Sedan ; les armées allemandes étaient devant Paris. Frédéric-Charles se disait autorisé à faire au maréchal toutes communications qu’il désirerait. Un fragment de journal, contenant les noms des membres du Gouvernement de la Défense nationale et quelques décrets rendus et si-