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UN ARTISTE BALOIS
M. ARNOLD BŒCKLIN

La vieille ville de Bâle vient d’offrir, pendant un mois, un spectacle tout à fait extraordinaire : chaque jour, une véritable foule se pressait dans les trois salles de l’étage supérieur de la Kunsthalle. Cette foule venait comme en pèlerinage, de tous les coins de la Suisse, et aussi des pays voisins, attirée par une affiche représentant un centaure soulevant un bloc de rocher dont il se prépare à écraser quelque ennemi. On l’avait invitée à l’Exposition des œuvres du peintre Arnold Bœcklin, organisée par son brillant émule, M. Sandreuter, à l’occasion du soixante-dixième anniversaire de sa naissance. Elle répondait à l’appel, avec la docilité candide et la curiosité naïve que recèle presque toujours son âme collective. Surprise d’abord au spectacle inattendu d’un art vraiment nouveau, elle se laissait gagner, peu à peu, par l’évidente bonne foi, par la géniale bonhomie, par la puissance créatrice du peintre septuagénaire dont beaucoup, sans doute, ne connaissaient pas même le nom. De jour en jour, l’enthousiasme allait croissant : il a atteint son apogée aux fêtes solennelles du 23 octobre, que quelques excès d’esthétique, de lyrisme et d’admiration furieuse ont par malheur un peu gâtées. Maintenant, les œuvres admirées vont rentrer dans les collections privées ou publiques qui les avaient prêtées à la ville natale d’Arnold Bœcklin. Il est probable qu’on ne les reverra plus réunies comme elles viennent de l’être pendant quelque temps. Mais ceux qui ont pu les contempler ainsi, n’oublieront jamais l’impression saisissante qu’ils en ont eue. Beaucoup d’entre eux conservaient quelque méfiance du peintre bâlois, illustre en Allemagne et dans la Suisse allemande, — à peine connu partout ailleurs : pour la dissiper, il fallait