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ou des châteaux au bord de la mer, selon la formule des poètes de 1830 :


Hast du das Schloss gesehen,
Das hohe Schloss am Meer ?...


Il a peint une Chasse de Diane, une Ile des vivans, une Ile des morts, des Bois sacrés, des Paysages italiens, etc. Cela est toujours d’un beau style, d’une composition savante, d’un arrangement intelligent, — mais non pas d’une vision directe et personnelle. Sans doute, l’artiste sent l’eau, les arbres, les fleurs, mais combine leurs effets à travers des souvenirs trop persistans d’œuvres déjà vues. Dans ce mélange d’art et de nature, la proportion est inégale, la part de l’art est la plus forte : et d’un art dont la noblesse factice ne peut nous plaire ni nous émouvoir. Nous avons appris à aimer la nature pour elle-même, pour elle seule, dans sa simplicité ; nous voulons le paysage sans épithète ; quelque chose en nous proteste contre la signification d’école que prennent dans certaines toiles les arbres magnifiques, dont l’auguste inconscience ne sait rien des guerriers antiques ni des amours illustres. Ici, pourtant, froissé par l’artifice des arrangemens et par les excès mêmes de la composition, je remarque, dans les plus réussies parmi ces peintures, les attitudes des discrètes figures qui les animent. Il y a, dans le Bois sacré, un cortège de blanches prêtresses, dont les deux premières s’agenouillent devant un hôtel, qui dégage l’impression la plus recueillie, la plus religieuse. A mesure qu’il se développe selon sa loi personnelle, Bœcklin réduit l’importance du paysage, en augmentant celle des figures ; et l’on voit bientôt apparaître des cortèges rouges de cavaliers maures, des guerriers s’avançant contre un château fort, des barbares en marche, qui lui appartiennent bien en propre. L’évocation du passé, dont il fait son but, est alors entièrement réussie.

J’imagine que c’est l’intérêt de ses figures qui conduisit Bœcklin à ses compositions les plus « littéraires », — à ces « sujets » dont les peintres, toujours dévoués au « morceau », sont enclins à se méfier. Quelques-unes sont presque des poèmes, d’une expression si simple à la fois et si saisissante, qu’il est bien difficile à de simples gens de leur résister. Je laisse de côté des allégories compliquées, qui exigeraient un long commentaire et qui, je le reconnais volontiers, sortent du domaine de la peinture. Mais voici un Château conquis et incendié par des pirates, où me frappe un détail admirable : une maigre figure, drapée de rouge, seule dans un canot qui s’approche des murailles où montent les flammes, — comme un génie ou un symbole de la destruction. —