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LE DÉSASTRE.

propres habits civils, jusqu’à ses bretelles. Charlys, sachant Du Breuil très sûr, lui raconta ce qu’il savait. L’Impératrice, avait affirmé Régnier, faisait demander Canrobert ou Bourbaki. Et le premier refusant de quitter Metz, le second avait consenti, mais à certaines conditions : il réclamait un ordre écrit, et la promesse que la Garde ne serait pas engagée pendant son absence… Le but de cette mission ? Ramener la souveraine à Metz en la proclamant régente et traiter avec l’ennemi ? Ou bien, l’armée de Metz, transportée dans une zone neutralisée du territoire, protégerait la convocation du Corps législatif et du Sénat, tels qu’ils étaient composés pendant la dernière session, et les deux Chambres constitueraient un gouvernement régulier ; la Prusse s’engagerait à le reconnaître et l’armée à le rétablir… Que devenait dans tout cela le Gouvernement provisoire, si décidé à la lutte, si chaud à la résistance et, qu’on l’aimât ou non, si ardent de cœur, si bon Français ?…

Traiter avec l’ennemi, cet expédient révoltait Charlys. Pour tous les officiers patriotes, le sort des armes seul, non le hasard des négociations politiques, avait chance d’élargir la geôle où l’on s’étiolait. Mais le temps pressait : autour de nous, rivant le cercle, une armée solidement retranchée. Et dans la place, de quoi tenir seulement jusqu’au 18 octobre. Chaque jour usait nos forces, démontait cavaliers et batteries, ruinait l’âme des troupes !

— Où allons-nous, mon cher ami ? dit Charlys avec un haussement d’épaules, qui allongeait encore son maigre corps.

Et tout le monde disait cela, et tout passait en paroles et en rage sourde. Il semblait que, du plus obscur au plus illustre, l’armée, frappée d’un immense vertige, contemplât, avec des yeux sans regards, l’enlizement où elle s’enfonçait inerte, comme en un lent tassement de terres peu à peu affaissées, glissant au gouffre.

Heureusement la journée de Peltre, le surlendemain, fit diversion. Le plan d’attaque était impraticable, osait déclarer le commandant Mourgues… Étonnant, le scepticisme des officiers de l’état-major de Bazaine ! À les en croire, le soldat ne voulait plus marcher ; se battre ne faisait qu’irriter l’ennemi qui se vengeait ensuite sur les villages. À quoi servaient des actions de détail, puisque la grande partie était perdue ? Pourquoi ne pas traiter de la paix, prendre sa revanche plus tard ?… Il fallait entendre l’accent provençal du petit Mourgues, écho tapageur des propos, plus