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Les Mairaut exploitent le « déshonneur » d’Angèle pour obtenir des conditions plus avantageuses, et taisent soigneusement la ruine d’un oncle d’Antonin, qui passe pour « oncle à héritage ».

Et, comme leurs parens, les jeunes gens mentent, et cherchent à « se mettre dedans », chacun d’eux affectant les sentimens et les goûts qu’il croit être ceux de l’autre. On les a laissés seuls ; et Julie, comme par hasard, se trouve, avant le dîner, décolletée et les bras nus, sous prétexte d’un bal où elle doit aller le soir ; et Antonin, qui ne l’aime pas, mais qui a du sang, est troublé par ces bras : il en saisit un, qu’il baise goulûment et que Julie, révoltée d’abord, puis complaisante par réflexion, revient elle-même lui poser sous la moustache... Du coup, le garçon se décide à la demande officielle...

Le mariage se fait, — pour se défaire bientôt, ne reposant que sur le mensonge. Les premiers mois, cela va à peu près. Les nouveaux époux étant en réalité des inconnus l’un pour l’autre, l’espèce d’étonnement où ils vivent (surtout la femme) suffit, joint à l’amusement de leur installation, pour ajourner le désaccord. — Mais les Dupont et les Mairaut découvrent peu à peu qu’ils se sont mutuellement « roulés ». Les scènes affreuses que se font les parens ont leur répercussion nécessaire dans le ménage des enfans. En même temps, Julie et Antonin s’aperçoivent qu’ils ne sont point tels qu’ils s’étaient décrits l’un à l’autre. Julie surtout, plus intelligente et plus fine, une fois sortie de sa torpeur de jeune mariée, se rend nettement compte qu’elle n’aime pas son mari, et qu’apparemment elle ne sera jamais heureuse.

Jusque-là, la pièce de M. Brieux est une très bonne comédie bourgeoise, genre Picard, si vous voulez, avec plus de saveur. On y retrouve les meilleurs dons de l’auteur de Blanchette, le mouvement, la vie, un air extrême de vérité, l’invention heureuse et abondante du détail familier et expressif. Mais, Antonin et Julie nous ayant été présentés comme des êtres assez médiocres et sans grands « dessous », l’histoire de leur ménage semble ici terminée, soit qu’ils se séparent ou qu’ils se réconcilient superficiellement.

Or tout ce qui précède n’est que bagatelle, et c’est ici que M. Brieux prend son élan.

Très influençable, lui que je crois formé pour écrire des comédies cordiales et naturellement enclin aux solutions et dénouemens optimistes, le voilà qui donne dans le pessimisme éperdument, sans doute parce que le pessimisme est d’apparence plus distinguée et plus philosophique. Il s’est aussi ressouvenu, je suppose, des diverses révoltées, norvégiennes ou françaises, qu’on nous a montrées ces années-ci. Impressionné enfin par ce qu’il y a de féminisme dans l’air, et piqué