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vers la chambre ; mais de toutes ses forces elle lui mord la main, jusqu’à le faire crier : et c’est, sous nos yeux, la lutte ressuscitée du mâle conquérant et de la femelle récalcitrante aux temps des cavernes et des haches de silex.

Et je ne reproche point à cette vision ce qu’elle a de farouche, mais seulement ce qu’elle a d’inattendu en cet endroit. Toute la scène qui précède ce pugilat est d’ailleurs fort belle ; une situation très vraie, très émouvante, d’un intérêt très général, y est traitée à fond et entièrement, ce qui est rare ; et jamais M. Brieux n’avait écrit avec cette précision, cette souplesse ni cette couleur. Mais il y a, dans le revirement final, un parti pris de violence et d’amertume, un « fait exprès » tragique, une rage de frapper fort, dont j’ai été un peu blessé à la réflexion.

Si Antonin demeurait sans interruption le mari stupide, le « mufle », si j’ose m’exprimer ainsi, des autres pièces féministes, on concevrait que, entre Julie et lui, le malentendu est sans remède. Mais, comme je l’ai noté, Antonin ne répond ni sottement, ni méchamment. Nous le voyons (un peu à l’improviste) s’élever au-dessus de lui-même, se révéler intelligent et sincère, même contre soi. Il dit tout, comme Julie avait tout dit. Il est clair qu’à un moment, par la vertu de leur courageuse confession, tous deux valent déjà mieux, qu’ils sont très près de se comprendre mutuellement et, par suite, de se pardonner et peut-être de s’aimer, car tout cela s’enchaîne. D’autant plus qu’Antonin, avec une sorte d’humilité, méritoire à mon avis, et qui paraît l’indice d’un secret changement moral, supplie sa femme de considérer qu’il l’aime après tout, de la grossière façon qu’il peut, mais profondément, et qu’il ne saurait vivre sans elle. Dès lors on conçoit mal que ce garçon, après ce qu’il vient d’entendre et ce qu’il vient de dire, et les réflexions, nouvelles pour lui, qu’il vient de faire, et les vérités qu’il vient de découvrir, retombe soudain à une telle bassesse de sentimens et persiste à refuser à sa femme, et de ce ton et en ces termes ignominieux, l’enfant qu’elle demande. Oui, plus j’y songe, et plus il me semble que cette conclusion est en désaccord avec le reste de la scène et que l’auteur l’a plaquée là pour nous secouer, pour nous faire peur, et pour nous montrer de quoi il est capable, lui aussi, dans le noir, l’amer et le féroce.

Ou plutôt, c’est qu’il songeait à sa grande scène du « quatre ». S’il n’a pas voulu que Julie et Antonin fussent réconciliés dans la douleur de leur confession, c’est qu’il s’était mis en tête de faire prêcher la sagesse, par la sœur courtisane, à la sœur dévote et à la sœur mal mariée, et qu’il était résolu de sacrifier tout à ce beau dessein... Car M. Brieux,