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Les pêcheurs en eau trouble considèrent comme leurs ennemis ceux qui s’occupent d’assainir et de clarifier les marais. Le grand Frédéric trouvait la constitution suédoise déplorable pour les Suédois, il la trouvait excellente pour lui-même ; il se flattait d’en tirer parti ; et son intérêt lui étant plus cher que celui des autres, il défendait qu’on y touchât ; ce gâchis était à ses yeux une chose sacrée. Comme lui, le Danemark, la Russie désiraient maintenir la Suède dans un état de faiblesse et de confusion. On nourrissait l’espoir de la démembrer un jour ; la Russie se promettait de lui prendre la Finlande, la Prusse de s’approprier ses possessions en Poméranie. Par un article secret du traité qu’ils conclurent ensemble le 31 mars 1704, Frédéric et Catherine reconnaissaient « la nécessité de conserver la forme du gouvernement par les États en Suède et de s’opposer au rétablissement de la souveraineté. » Les ministres des deux parties contractantes devaient combattre d’un commun accord « toute réforme de ladite constitution. » On réservait à l’héritage de Gustave-Adolphe les destinées d’un autre royaume, à qui ses voisins interdisaient de se réformer et de sortir de son anarchie. Après le premier partage de la Pologne, Frédéric écrira à son frère Henri : « A présent, mon cher frère, le gros de l’ouvrage est fait. Cela réunira les trois religions grecque, catholique et calviniste, car nous communierons d’un même corps eucharistique, qui est la Pologne, et si ce n’est pas pour le bien de nos âmes, cela sera sûrement pour le plus grand bien de nos États. » Peu s’en fallut que, comme la Pologne, la Suède ne devînt un corps eucharistique.

Louise-Ulrique eut le mérite de comprendre sur-le-champ l’urgente nécessité d’une réforme et d’y travailler résolument, sans se laisser détourner de son projet ni par les conseils intéressés et les objurgations de son frère, ni par les menaces de la Russie. Mais elle ne sut ni préparer ni exécuter son entreprise. Un homme exerçait alors une influence dominante sur les esprits ; c’était le comte Tessin, qui avait été longtemps son confident, son conseiller, son bras droit. Avec son aide, elle pouvait beaucoup ; elle ne pouvait rien sans lui. Malheureusement l’admiration qu’il professait pour elle s’était changée en un sentiment plus vif et plus tendre, et elle s’indigna qu’un de ses sujets osât la désirer.

Cette femme, qui ne l’était pas assez et ne se conduisit jamais avec art, traita sans ménagement l’audacieux qui se permettait de lui parler d’amour. Plus habile, elle l’eût découragé sans le désespérer et surtout sans l’humilier ; elle le désespéra, le froissa cruellement dans son orgueil. Cependant il ne demandait qu’à faire tout oublier, à rentrer