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deux modes d’activité intellectuelle les plus opposés qu’on puisse imaginer, ont une liaison intime, se secourent mutuellement, comme pour prouver la liaison mystérieuse qui apparaît dans toutes les manifestations de notre esprit et qui nous fait soupçonner, jusque dans les œuvres du génie artistique, l’action cachée d’une intelligence qui raisonne[1]. »

Mélodie, harmonie, rythme, tout en musique est nombre et proportions de nombres. Tout, jusqu’au timbre même, celui-ci n’étant constitué — Helmholtz encore l’a démontré — que par « la présence, en nombre et en intensité variable, des sons harmoniques qui accompagnent le son fondamental[2]. » De la musique ainsi, comme de l’architecture, une partie considérable est toute spirituelle. Les lois mathématiques la régissent impérieusement, et ces lois constituent l’ordre idéal par excellence, que la raison seule conçoit dans son abstraite pureté.

Au point de vue métaphysique, la musique est idéaliste parce qu’elle est un art du temps beaucoup plus que de l’espace ; or il semble que de ces deux idées, l’idée de temps ait je ne sais quoi de plus immatériel que l’autre et, pour ainsi dire, de plus idéal encore.

Il est évident que la musique est avec l’espace en des rapports moins étroits et moins essentiels que les arts plastiques. Une note n’est « haute » ou « basse » que sur la portée et suivant une convention, d’ailleurs conforme à l’impression éprouvée, du langage et de l’écriture. En réalité, la musique ne dépend de l’espace que par la vibration de l’air, laquelle est beaucoup moins matérielle que la matière, solide et palpable, des autres arts. C’est du temps surtout que relève la musique. Elle est dans le temps et par lui beaucoup plus que par l’espace et dans l’espace, et pour la musique, pour elle seule, la division du temps est un élément de l’être et de la beauté. Le temps est en quelque sorte l’étoffe de la mesure et du rythme. Il est le lien de la mélodie, qui, sans lui, manquerait à chaque note. Enfin, comme l’observait récemment un psychologue musicien, la vitesse est un élément de la musique, et « la vitesse n’est qu’indirectement fonction de l’espace. Directement, immédiatement, elle est fonction du temps[3]. »

  1. Helmholtz, Causes physiologiques de l’harmonie musicale.
  2. Le Son et la musique, par P. Blaserna, professeur à l’Université de Rome.
  3. L’Émotion musicale, par M. Lionel Dauriac (Revue Philosophique de juillet et août 1896).