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mystérieuse et sans témoins. Ils vivent pourtant. Mais quand a résonné le dernier accord, la plus belle symphonie rentre dans le néant. Elle n’existe plus, ou du moins elle ne possède plus qu’une existence virtuelle et latente, qui peut bien être réveillée, mais qui dort. Ainsi, jusque dans la durée, son royaume pourtant, la musique conserve quelque chose de fugitif et de volatil, quelque chose de moins matériel que les autres arts, quelque chose de moins sensible, ou de sensible moins constamment.


IV

Un autre élément, — peut-être le plus particulier, — de l’idéalisme de la musique, c’est l’existence universellement reconnue, et par le langage même, de ce qu’on appelle les idées musicales. La musique est créatrice d’idées qui ne sont qu’à elle, ou plutôt qui ne sont qu’elle, elle-même et elle seule ; idées constituées exclusivement par des mélodies, des accords, des rythmes ; idées enfin les plus idéales possible, parce qu’elles sont, le plus qu’il est possible, dénuées et comme abstraites de tout sujet extra-musical, c’est-à-dire étranger à elles-mêmes. Cet idéalisme en quelque sorte spécifique est le propre de la musique ; ou, du moins, je ne vois guère que l’architecture, qui, dans une mesure restreinte, y participe. Une idée architecturale approche à cet égard d’une idée musicale ; une ligne de pierre ou de marbre peut être comparée à une ligne de sons. Un temple, une cathédrale, un palais, est à sa manière, et un peu comme une symphonie, le développement d’une idée ; cette idée sera, suivant les cas, la colonne, le plein cintre, la coupole ou l’ogive. Mais tout de suite, et sans qu’on y insiste, apparaît la supériorité de la musique, et combien sur les idées d’un Bramante ou d’un Michel-Ange architecte, les idées d’un Beethoven l’emportent par la variété, le détail, et surtout par l’humanité, le mouvement et la vie. Sans compter que dans les œuvres d’architecture, le fait seul de leur destination et rien que leur nom : palais, cathédrale ou théâtre, introduit quelque chose de concret et de pratique, par où le pur idéalisme se trouve atteint et légèrement altéré.

En peinture et en sculpture, cette altération est encore plus profonde. Il n’y a pas d’idées sculpturales ou pittoresques, au même titre qu’il existe des idées musicales. Il existe une musique, la plus haute et la plus belle, qu’on nomme la musique pure ; mais