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De cette intériorité de la musique faut-il conclure que le monde extérieur n’existe pas pour elle ? Non, sans doute, et ni les choses ni les faits ne lui sont interdits ou indifférens. Dire d’un Meyerbeer, par exemple, qu’il fut un grand musicien d’histoire, c’est dire que de grands événemens ou de grandes époques trouvèrent dans le maître des Huguenots et du Prophète un interprète à leur taille. Les moindres faits eux-mêmes, de menus incidens et des détails, des aventures familières, en un mot l’habitude et comme le train de la vie, tout cela peut être matière à musique. Il n’est pas jusqu’aux chaises et aux fauteuils qu’un Auber ne se vantât de faire chanter. Les plus grands chefs-d’œuvre sont profonds, mais il y a des chefs-d’œuvre légers, pour ne pas dire frivoles ; chefs-d’œuvre de vie extérieure et superficielle, mais de vie enfin, comme un Mariage secret ou un Barbier de Séville. Et dans les autres, il arrive qu’une part soit faite même à cette vie, ou plutôt à ces dehors de la vie, à l’action, au mouvement : c’est le cas de Don Juan et surtout (rappelez-vous le merveilleux finale), c’est le cas des Noces de Figaro.

Aux choses encore plus qu’aux faits, je veux dire à la nature, la musique accorde une place et reconnaît des droits. Ces droits, il convient de les définir avec exactitude, sans les réduire mais sans les étendre non plus. Jamais peut-être les rapports de la musique et de la nature n’ont été plus mal compris que par un poète de la nature, et qui se disait musicien, Victor de Laprade. Le thème ou la thèse principale de son livre : Contre la musique, n’est que l’assimilation de la musique au monde extérieur. De cette assimilation, faussement établie, de Laprade ne conclut rien que de défavorable à la musique, rien qui ne la rabaisse et ne l’humilie. « La musique, dit-il, est celui de tous les arts qui participe le plus du monde extérieur, qui fait la part la plus grande aux élémens étrangers à l’âme, parce que l’intelligence pure, la raison, le sens moral, sont incapables de la juger. » Ailleurs : « La musique, si puissante sur le cœur de l’homme, se forme tout entière dans le monde extérieur, en dehors du domaine de notre volonté, comme un orage qui se forme dans l’espace et qui va fondre sur nos têtes. » Ailleurs encore : « Cet art, dont les effets physiques sont irrésistibles comme les effets de l’électricité ou du magnétisme, est celui de tous qui suppose chez l’artiste le moins de liberté d’esprit et de clairvoyance morale, celui de tous qui se produit le plus fatalement en vertu de lois presque mécaniques