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a de musique dans les trilles du rossignol, dans l’écho des cavernes ou le murmure des bois. La nature visible en un mot est beaucoup moins éloignée de l’art que la nature sonore. Un paysage véritable diffère moins du tableau que de la symphonie qu’il inspire, et les secrets d’Isis se lisent plus aisément sur son visage qu’ils ne s’entendent dans sa voix.

« C’est pourquoi lorsque l’homme s’avisa de devenir musicien, il dit à la nature : « Je n’aurai pas la présomption de rivaliser avec tes torrens, tes tonnerres, tes merles, tes cigales et toutes les forces incommensurables dont tu disposes ; mais voici ce que je ferai : Nos passions sont ton ouvrage, c’est toi qui nous les a données. Mais, soit que tu l’aies voulu, soit que nous ayons usurpé sur tes droits en touchant au fruit de l’arbre de la connaissance, nous sommes devenus des êtres pensans, et nos passions s’en ressentent. La pensée, qui est à la fois une force et une faiblesse, leur a imprimé sa marque, et désormais ta musique, qui exprime les passions des choses, n’est plus une interprétation exacte des nôtres ; selon les cas, elle en dit trop ou trop peu. Je traduirai en langage humain, je transposerai, je commenterai tout ce que tu veux bien nous dire, et désormais l’homme comprendra ce que tu refuses de lui expliquer. Tout est mystérieux en lui comme en toi ; je lui dévoilerai tes mystères avec les siens. « Et ayant ainsi parlé, son premier soin fut d’humaniser les sons, afin que les passions de l’air exprimassent aussi les passions humaines[1]. »

« Humaniser les sons », rapporter, subordonner même la matière à l’esprit et la nature à la pensée ; traduire en mélodies, en rythmes, en accords, moins les choses elles-mêmes que l’impression ou la réaction des choses sur nous ; placer l’homme au milieu d’elles pour qu’il participe de leur être et surtout pour qu’il leur communique ou croie leur communiquer le sien, voilà ce que doit faire la musique, et ce que les grands musiciens de la nature ont toujours fait. Les plus beaux paysages musicaux sont les plus conformes à la fameuse définition d’Amiel. Il est devenu banal de rappeler à ce propos la symphonie Pastorale et la formule ou le programme idéaliste inscrit par Beethoven à la première page. Plus près de nous, Tannhäuser offre un admirable exemple d’un idéalisme pareil et de cette même hiérarchie établie par la musique entre la nature et l’humanité. C’est au début du second

  1. M. Victor Cherbuliez, op. cit.