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Comme elle me contait que la plus grande partie de sa vie s’était passée à New Lebanon, je lui parlai de la novice de Paris qu’elle avait dû jadis connaître, et elle me prêta une bienveillante attention quand j’ajoutai qu’elle était restée un peu Shakeresse de cœur, car, rentrée dans son pays et si catholique qu’elle fût devenue, elle avait tenté d’inaugurer une société d’amour pur pour l’égalité de tous les êtres dans l’amour, une société fondée au nom du Dieu de liberté, du Dieu de pureté et du Dieu tout amour, une société dont le siège serait établi dans le cœur de chacun, les obligations de chacun étant écrites dans sa conscience.

— Mais c’est la nôtre, dit-elle ; nous sommes les ressuscites, parmi lesquels les hommes ne prennent point de femmes et les femmes point de maris, tous étant comme les anges qui sont dans le ciel.

Et je pensai que personne en vérité n’avait plus que cette vieille femme l’air d’un ange.

Les anges sont très prudens. Comme je lui demandais si dans leurs entretiens avec les esprits, qui leur dictent des cantiques et des prières, les Shakers ne craignaient point d’en rencontrer de mauvais, elle me répondit : « Après, comme dès maintenant, ceux qui se ressemblent se rechercheront, je suppose. Les bons vont avec les bons, les méchans avec les méchans. » Et je crus comprendre que ce genre d’attrait lui paraissait composer ce que nous appelons le ciel et l’enfer, avec des moyens de relèvement, de perfectionnement volontaire qui ne finiront jamais.

— N’attendez-vous pas, lui dis-je, le royaume de Dieu ici-bas ?

— Mais nous l’avons déjà, répondit-elle, il est en chacun de nous si nous le voulons.

Nos religieuses catholiques lui sont très sympathiques ; elle trouve que l’Eglise romaine a bien fait de prescrire le célibat à son clergé ; mais pourquoi ne l’avoir pas au moins conseillé à tous les autres ?

Cependant la conversation entre le frère Henry et mon amie était beaucoup plus du siècle : ils traitaient du progrès croissant des écoles shakers. Et, à propos de livres, il fut question avec sympathie du célèbre romancier Howells qui a peint un village de Shakers dans un de ses plus jolis livres : the Undiscovered Country[1] ; puis de Hepworth Dixon, l’auteur de la Nouvelle

  1. Voyez dans la Revue du 1er février 1883 : Les nouveaux romanciers américains.