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me répondit que l’usage en était passé. Pour sa part elle est encore très agile et très légère, quoique sœur Lucinde la surpasse sous ce rapport. En somme, les meilleurs danseurs de la société sont encore les anciens.

Les jeunes se bornent de plus en plus au chant, à la parole et aux battemens de mains. Parfois pendant le service, une sœur se sent contrainte de transmettre quelque message que lui confie un esprit, consolation ou avertissement. Il arrive aussi que l’esprit demande des prières ; c’est une perpétuelle communion entre les vivans et les morts unis, confondus dès ce monde dans l’éternité.

J’ai dit que les Shakers avaient une littérature. Effleurons tout au moins les principaux ouvrages qui la composent. Le plus fécond de leurs écrivains me paraît avoir été Frederick Evans, qui fit à Londres des conférences sur le communisme religieux, voyagea beaucoup et est par conséquent le seul Shaker que l’on connaisse à l’étranger. Anglais d’origine, il arriva tout jeune en Amérique, au moment des déclamations violentes contre la banque des États-Unis et autres monopoles ; il devint socialiste, puis de socialiste Shaker. Après avoir essayé de plusieurs sociétés communistes qui n’eurent qu’une courte durée, il se fixa dans la famille du Nord à New Lebanon, et y rendit durant plus d’un demi-siècle des services inestimables. Sans avoir fait d’études supérieures, l’ancien Frederick était orateur et écrivain, avec un tour d’esprit scientifique, à la condition d’appliquer les sciences au bien-être de l’humanité. Très enthousiaste, il comptait pour amener des recrues aux Shakers sur l’esprit de Dieu travaillant au dehors, c’est-à-dire sur les réveils religieux. Peu lui importait d’ailleurs d’où soufflait le vent. Toutes les croyances le trouvaient respectueux. En général, la règle des Shakers s’applique uniquement aux actes, sans contraindre la pensée. C’est ce qui explique que les représentans de différentes sectes protestantes s’y rallient sans trop d’effort. M. Nordhoff prétend avoir même rencontré des catholiques à Groveland et à Union Village. Évidemment ils ne pouvaient guère l’être que de souvenir, mais on ne leur avait pas demandé d’abjurer.

Selon les idées de l’ancien Evans, le célibat est un garant de