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qu’à se servir d’elle en la dominant. Cette immense force était aux faibles mains du Pape et de cinquante cardinaux. Il connaissait son ascendant sur Pie VII, « doux comme un mouton ». Il jugeait des cardinaux par l’un d’eux, Caprara, qui depuis le Concordat, représentait en France le Saint-Siège. Caprara s’était dès l’abord proposé pour règle, toutes les fois que « le grand homme » voulait quelque chose, de « conclure en cédant ». Il appelait cela « rester à tout prix sur ses pieds, parce que, si une fois on tombe, on ne se relève plus ». Devant Napoléon, il avait trouvé une manière plus sûre encore de ne pas tomber, c’était de vivre à plat ventre. Il avait ramassé à cette hauteur le riche archevêché de Milan et d’autres largesses. Mais il était servile avec désintéressement, par un don de nature et, croyant bien agir, s’était fait auprès du Saint-Siège l’ambassadeur de toutes les exigences impériales. Quand, après la chute du pouvoir temporel, les cardinaux romains avaient été appelés à Paris, Napoléon avait cherché parmi eux d’autres Caprara. Les uns s’étaient montrés inébranlablement fidèles au Pape ; l’Empereur avait « donné leur démission à ces individus », qui vivaient internés dans diverses villes de France, dépouillés de leurs insignes, et qu’on nommait « les cardinaux noirs. » Les autres s’étaient montrés prêts à plier et à recevoir.

C’est de ces « cardinaux rouges » que Napoléon veut se servir. Il vient de nommer parmi les prélats les plus dévoués à ses desseins la députation dont le Concile a demandé l’envoi au Pape. Et pour que le Pape ne se plaigne pas d’être sans conseillers, cinq cardinaux rouges sont « autorisés » à se rendre auprès de lui, pour l’assister de leurs avis. En réalité, c’est Napoléon qui les envoie, chargés d’une double mission : obtenir au moins une paix partielle, en provoquant l’adhésion pontificale au décret du Concile ; obtenir, s’ils peuvent, une paix complète, en offrant au Pape, soit le retour à Rome après serment prêté à l’Empereur, soit l’établissement en France après engagement de ne rien tenter contre les libertés gallicanes. On exige d’eux-mêmes, avant le départ, la déclaration écrite qu’ils feront tout pour amener le Pape aux volontés de l’Empereur. Ils signent. A Savone, la pudeur les empêche de soumettre à Pie VII les propositions de l’Empereur. Mais ils soutiennent d’autant plus la transaction du Concile. Naguère, pour obtenir ce vote du Concile, ou présentait aux évêques français le Pape comme disposé à abandonner sa