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LE DÉSASTRE.

blessés et le soupir des morts. Du Breuil s’enfuit, poursuivi par le résonnement terrible, l’obsession de ce glas qui lui martelait le cœur.

Au Ban Saint-Martin, tout disait l’agonie, la fin. Le matériel du grand Quartier-général s’entassait dans la fange. On ne voyait que voitures dételées, chevaux errant à l’aventure ou crevant sur place, harnachemens pêle-mêle au travers de la boue. Les bureaux de l’état-major étaient presque déserts. Autour de Laune, quelques officiers fidèles, Fay, Samuel, Restaud, Décherac assuraient l’exécution des dernières mesures. Il fallait mettre un peu d’ordre dans cette inexprimable confusion. Officier par officier, le grand Quartier-général s’était depuis la veille émietté, désagrégé. Comme Du Breuil allait pousser la porte, un pas de cheval retentit. Floppe mit pied à terre.

— Eh bien, Floppe, quelles nouvelles ?

Un rictus passa sur son visage hargneux. Pas grand’chose de beau ! On rendait les armes, soigneusement nettoyées, de façon que MM. les Prussiens pussent les utiliser au plus tôt. Des bruits couraient les camps, destinés à endormir la fureur des soldats : ils allaient rentrer dans leurs foyers, les officiers seuls étaient faits prisonniers. Ou bien : l’ennemi traiterait l’armée avec rigueur, si les armes n’étaient pas remises en bon état. Ou encore : les régimens, après la captivité qui serait courte, viendraient reprendre à Metz leurs canons et leurs fusils… Floppe ajouta : « J’ai croisé pas mal de troupes, en accompagnant jusqu’à Moulins l’officier chargé du service des parlementaires. » Du Breuil le questionna du regard.

— Ah ! dit Floppe, vous ne savez pas ? Nous avons eu une rude frousse en votre absence ! À midi, lettre insolente de Stiehle à Jarras, déclarant qu’il ne pouvait croire décidément à l’assertion de la veille, cette habitude de brûler les insignes à chaque révolution. Il réclamait en conséquence le chiffre exact des aigles, avec menace formelle de considérer la convention comme nulle, au cas où le nombre en serait insuffisant. Il fallait voir cet affolement !… On court après Soleille, on rédige une belle lettre promettant de livrer sagement les quarante-et-un drapeaux qui restent, et Soleille de trotter bien vite à l’Arsenal pour recompter, et Girels averti de ne pas en laisser échapper un !

Du Breuil, sans répondre, fit mine d’entrer.

— Écoutez donc ! dit Floppe, voilà le plus beau. Quand Nu-