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LE DÉSASTRE.

éclatait sur son dolman. Du Breuil fit semblant de ne pas voir, répondit d’un ton sec : « Bon voyage ! » Mourgues insistait :

— Vous regardez ma croix ?… je suis officier d’hier.

— Ah ! dit seulement Du Breuil.

Un mouvement se produisit. Mourgues courut à son cheval. Le perron intérieur se garnissait d’officiers, familiers ou quémandeurs. Le maréchal parut. Il avait une démarche lourde et, sous un air placide, un visage bouffi, tourmenté. Du Breuil le vit se mettre en selle. Un peloton de la compagnie de service se détacha, prit l’avance. Puis, encadré d’une double haie de grenadiers, Bazaine, suivi de son état-major, franchit silencieusement la porte. Le reste de la troupe et les fourgons s’ébranlèrent. Du Breuil les vit tourner l’angle de la rue, disparaître dans le jour blême.

Au Quartier-général, il retrouva les fidèles de la veille, groupés autour de Laune et de Fay. Restaud leva sur lui de bons yeux calmes, un visage austère, mais paisible. Il semblait avoir pris son parti, reconquis sa grave bonne humeur, son entrain presque. Il travaillait avec l’ardeur réfléchie de jadis. Son maintien rendit un peu de courage à Du Breuil, encore tout écœuré du départ honteux de Bazaine. Il avait éprouvé une singulière impression devant ce maréchal de France se hâtant dans la direction de l’ennemi, comme un coupable s’esquive. Floppe, qui l’avait vu passer, déclara :

— Faut-il qu’il soit pressé de se rendre ! Il a fait demander hier à Frédéric-Charles à quelle heure il pourrait rallier Corny ! Il n’attend même pas la réponse.

— Sans doute, fit Décherac, il craint d’affronter le spectacle de l’armée.

— Peuh ! dit Floppe, une chose m’étonne, c’est qu’il ne soit pas parti plus tôt. Hier soir, quand il a fait demander « le mot » qu’on avait omis de lui envoyer, j’ai cru qu’il déguerpirait au petit jour.

Du Breuil s’enquit. Les postes avancés avaient conservé leurs armes pour s’opposer à toute évasion de nuit. Bazaine, s’il voulait franchir les lignes à l’aube, avait besoin du mot.

— C’est vrai, dit Floppe. Vous n’étiez plus là hier, vous ne savez pas !… Figurez-vous donc notre étonnement lorsqu’en relevant sur la liste des mots ceux du 28, nous avons lu : Dumouriez-Dijon… Oui, Dumouriez !… En sorte qu’à la minute même où