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LE DÉSASTRE.

le matin pour la dernière fois le service des parlementaires à Moulins-lès-Metz, apparut. Il sauta brusquement à terre, pénétra dans la pièce. Il tenait à la main des lettres.

— Le général Jarras est-il encore là ? dit-il.

Laune lui désigna du doigt le premier étage où le chef d’état-major général vivait confiné depuis la signature de la capitulation.

— Eh ! eh ! siffla Floppe, voilà du nouveau.

Le capitaine Yung redescendu, tous l’entourèrent. Alors à mots pressés, il raconta :

— J’étais à Moulins depuis une demi-heure. Le clairon sonne à l’avancée. Un officier de dragons prussiens vient au-devant de moi et me remet une dépêche dans une grande enveloppe carrée et des lettres pour Jarras. « Veuillez vous dépêcher, monsieur le capitaine, faisait-il, allez aussi vite que possible ! » Il m’a même répété pendant que je montais à cheval : Eilen Sie ! Je reviens au galop. À hauteur de Longeville, je rencontre le maréchal. Il m’a demandé si j’avais des lettres. Je lui ai remis la grande enveloppe. Il paraissait très ému, très affaissé. Il a déplié la dépêche. Elle était en allemand. « Pouvez-vous la traduire ? » m’a-t-il dit. Et sans descendre de cheval, j’ai lu de vive voix. Cinq paragraphes, signés de Stiehle. Ça commençait ainsi : « Son Altesse se félicite avec vous de la manière dont on a exécuté les instructions pour la reddition des armes, du matériel et des drapeaux de l’armée de Metz. Quant à votre désir de vous trouver au Quartier-général avant midi, comme il avait été convenu, Son Altesse regrette de ne pouvoir y accéder et elle espère pouvoir vous recevoir ce soir à 5 heures, ou demain à 10 heures du matin. Elle vous enverra des ordres ultérieurs. »

— Quel camouflet ! dit Floppe.

— Et ça finissait, reprit le capitaine Yung, par des prescriptions relatives aux résidences du prince Murat et de Jarras. Changarnier, lui, est libre… Le maréchal a paru très affecté. « Que faire ? » m’a-t-il dit. Je lui ai conseillé d’attendre aux avant-postes de nouveaux ordres de Frédéric-Charles.

Yung sorti, Décherac et Floppe l’un après l’autre disparurent.

Du Breuil vint serrer la main de Restaud.

— Vous venez ? demanda-t-il. J’étouffe !

Dans le bureau désert, par point d’honneur, les derniers fidèles autour de Laune s’efforçaient à des tâches, rangeant, classant.