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Voyez-vous la nuance ? Bouteiller a encore l’âpreté d’un néophyte. » Il approuve ou désapprouve : « Tout n’est pas mauvais dans ces affirmations de Bouteiller. » Il précise le rôle qu’il assigne à chacun de ses héros : « Ces deux-ci, Racadot et Mouchefrin, dans le cénacle, représentent la pauvreté. » On songe à ces enluminures naïves où s’allongent hors de la bouche des personnages des banderoles explicatives. Il interpelle tantôt ses acteurs et tantôt son lecteur. « Voyez ce sauvage François Sturel, comme il a profité de sa pension pour s’élever à une certaine délicatesse de vie !... Le fat ! à cette époque il n’a même pas de cerveau. Il ignore les coutumes ; il ne songe pas qu’une jeune fille est toujours de chasse réservée. C’est un jeune lévrier en liberté dans le taillis... » Mais si méritoires que puissent être ces artifices, ils vont contre l’objet que se propose l’écrivain. Ils soulignent le défaut dont nous nous plaignons. Ils nous rappellent à chaque instant qu’au lieu de procéder à la façon des artistes qui sortent d’eux-mêmes pour devenir tour à tour chacun de leurs personnages et vivre en eux, l’écrivain ici reste en dehors, réduit à les faire manœuvrer par l’extérieur, à les faire avancer ou reculer suivant les besoins de sa démonstration.

Si nous avons noté, avec autant de soin qu’il nous était possible, les défaillances de l’exécution trop fréquentes dans les Déracinés, c’est d’abord que l’œuvre en valait la peine, et qu’il y avait quelque intérêt à définir le talent de M. Barrès. Ce talent est très réel, et M. Barrès est à coup sûr parmi les écrivains encore jeunes l’un des mieux doués. Il semble seulement qu’il n’ait pas la vigueur qu’il faut pour soulever une œuvre de quelque étendue. Ce livre n’est décevant que si on le juge d’ensemble ; il contient, au reste, une foule de détails excellens, scènes vivement enlevées, formules saisissantes, mots heureux. De même, il y a dans les Déracinés beaucoup d’observations fines, de remarques spirituelles, d’idées ingénieuses ; c’est seulement quand il veut enchaîner ces idées et nous en faire suivre la liaison que M. Barrès éprouve quelque embarras. Il y a dans sa langue trop de mots empruntés au jargon philosophique, économique ou parlementaire, et qui nuisent à cette impression de netteté et de sobriété un peu sèche que donnait jusqu’ici son style. Ce style est heurté, tourmenté, et on y surprend sans cesse le souci de l’écrivain occupé à surveiller son originalité. Du moins M. Barrès a-t-il un style qui lui appartient et dont les procédés ou même les poncifs sont bien à lui. — Mais surtout, en parlant de M. Barrès, nous songions en même temps à d’autres écrivains de la même génération, et si nous insistons sur le défaut capital de son