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incomparablement plus médiocre ou plus mauvaise que celles qui l’avaient précédée, au triple point de vue social, moral et intellectuel : le suffrage universel pur et simple, même à dose atténuée, allait corrompre et tuer le régime parlementaire.

Quoi qu’on dise, en effet, ce régime suppose et exige une bourgeoisie forte, active, hardie, une classe de gouvernement très instruite, très honnête, très désintéressée, capable de cette tolérance pour les opinions antipathiques qui est un fruit de l’éducation et de cette urbanité de manières qui est comme la forme visible de la tolérance : il est foncièrement et essentiellement bourgeois. Avec les recrues mal dégrossies que le caprice des électeurs lui envoyait, il était inévitable que le Parlement, en tout pays de suffrage universel, prît tôt ou tard l’aspect et le ton des réunions publiques. Le Reichsrath de Vienne n’y a pas manqué. Les hommes qui en faisaient l’ornement n’y sont plus, ou n’y comptent plus : ils sont partis ou ils se taisent. M. de Hohenwart est à la Chambre des seigneurs ; le professeur Suess, en sa tranquille maison de l’Afrikanergasse, prépare la carte géologique de la Russie et rêve aux périls de la vieille Europe ; d’autres sont passés à la Cour des comptes ou ailleurs, ont accepté des fonctions d’État ou sont rentrés dans la vie privée. La gauche allemande en particulier, — ou ce qui s’appela jadis ainsi, — n’a pas été seulement décimée : elle a été décapitée. Presque tous les partis de la Chambre sont acéphales : ce sont comme des corps sans tête, que secouent des soubresauts de mouvement réflexe. Les socialistes eux-mêmes ont subi la commune loi : tous leurs chefs ont été battus, et ils ne sont arrivés à la Chambre qu’en la personne des inconnus les plus obscurs : le docteur Victor Adler, qui a tout sacrifié à ses idées, est resté sur le carreau ; en revanche, le peuple s’est donné pour représentans, à Vienne, un garçon de café convaincu d’indélicatesse, et, en Galicie, un paysan illettré qui, l’autre jour, se laissait choir, ivre-mort, d’une tribune où on l’avait hissé. Il y a dans le Reichsrath six partisans du P. Stojalowski, mais le P. Stojalowski n’y est pas. Seuls les chrétiens-sociaux et les antisémites peuvent se vanter de réunir un organisateur, le docteur Gessmann, un orateur de style, le prince Aloyse Liechtenstein, un entraîneur de foules, le docteur Lueger.

Chose il y a deux ans incroyable : en cette Chambre où il y a disette d’hommes, M. de Schœnerer est un personnage ! Et Dieu