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sien dans cette Monarchie, très désireux d’étendre sa réputation d’homme du monde, en l’étant dans le plus vaste sens de ce mot : le monde ; le comte Goluchowski d’attirer l’attention vers lui, de la détourner vers le dehors, va à Berlin, va à Saint-Pétersbourg, va à Paris, va à Monza.

Silencieusement, en philosophe qui sait que les temps s’accompliront, M. de Kállay fume sa grande pipe turque ; et, songeant à tout ce qu’il y a d’Orient dans cet État de l’Europe centrale, à demi hongrois, à demi autrichien, tendant son puissant esprit à reconstruire en idée l’Empire d’après les lois de la vie et les données de l’expérience, fouillant l’avenir d’un regard assuré, il contemple, compare et conclut.

Cependant, derrière les fenêtres de la Hofburg, au coin de cette cour où, chaque midi, avec toute la pompe de la majesté impériale, musique éclatante et panaches étincelans, se fait la parade militaire ; derrière la vitre, à travers laquelle l’Autriche la voit, erre l’ombre blanche de l’empereur. Et, dans le pressentiment que quelque chose de décisif — et de redoutable — se prépare, du château d’Ofen, la Hongrie observe, et au Hradschin de Prague, la Bohême attend.


II

La Chambre hongroise est bien moins divisée que le Reichsrath autrichien. Si, comme le Reichsrath, l’obstruction l’a arrêtée pendant plusieurs mois, cette obstruction n’est jamais allée jusqu’aux violences où elle est descendue à Vienne : dans ce qu’elle avait d’anti-parlementaire, elle est restée plus soucieuse de la dignité du parlementarisme, auquel la Hongrie est attachée par une tradition qui n’est que de sept ans moins ancienne que la tradition anglaise elle-même. Le différend portait uniquement d’ailleurs sur la politique du baron Bánffy ; l’opposition voulait lui faire payer ainsi la brutalité de l’intervention gouvernementale dans les élections dernières, où, de l’aveu de tous, il avait mis trop peu de modération à se tailler une majorité : c’était une manifestation anti-ministérielle, mais non anti-magyare : une affaire de partis, mais non une affaire de nationalités.

A la vérité, il y a, en Hongrie comme en Autriche, plus qu’il n’en faut d’élémens ethniques disparates et inassimilables pour qu’il s’établisse, de l’un à l’autre, une rivalité, une sorte de concurrence